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Lorsque les parens font des plans d’éducation, ils les essaient sur leurs enfans et commencent par les retirer du collège, afin, disent-ils, de les mieux élever ; ils finissent par ne pas les élever du tout. Telle fut un peu l’histoire du fils de Mme d’Épinay. Il quitta le collège et vint avec son précepteur s’établir dans la maison paternelle. Là Mme d’Épinay, dans sa préoccupation maternelle, essayait chaque jour une méthode nouvelle. Tantôt elle voulait qu’on instruisit son fils en se promenant et en causant avec lui ; tantôt, quoiqu’il n’eût pas encore quinze ans, elle lui écrivait des lettres ingénieuses qu’il ne pouvait pas comprendre. Toutes ces inventions paraissaient à M. d’Épinay bizarres ou trop sérieuses. « Que peut-on apprendre à un enfant, disait-il, en ne faisant presque jamais que causer avec lui ? Ces promenades que vous lui faites faire pour sa santé l’ennuieront à périr, si vous les employez à son instruction. Je ne suis pas non plus d’avis d’interrompre pendant deux ou trois ans l’étude des talens agréables : c’est le temps le plus précieux pour les acquérir, et dont il faut profiter d’autant plus soigneusement que l’enfant y a plus de dispositions. Je veux donc qu’il emploie deux heures par jour à l’étude du violon et deux heures à celle des jeux de société : il faut qu’il sache défendre son argent. Arrangez le reste comme vous l’entendrez[1].

Mme d’Épinay, qui envoyait à Grimm ce beau plan d’éducation de M. d’Épinay pour s’en moquer, ne remarquait pas qu’au fond c’était presque le même plan que celui de Duclos ; peu de latin et point de grec. M. d’Épinay, il est vrai, voulait que son fils apprît les jeux de société, comme Mme d’Épinay voulait qu’il apprit la morale et même le droit naturel. La morale et le droit naturel étaient les sciences favorites du monde de Mme d’Épinay, comme les jeux de société étaient la science du monde où vivait M. d’Épinay ? Chacun voulait élever son fils à la mode de son monde ; mais des deux côtés même frivolité, frivolité de philosophes d’un côté, frivolité de financiers de l’autre.

Nous avons, dans les Mémoires de Mme d’Épinay, les deux lettres qu’elle avait écrites à son fils. Elle voulait à ce moment faire l’éducation de son fils par lettres. « Nous nous écrirons, dit-elle à son fils, nous causerons, enfin nous chercherons de concert les moyens de vous rendre heureux. La vérité, la raison, l’amitié et la confiance vous guideront dans cette importante et agréable recherche. » Elle envoya ces deux lettres à Rousseau, qui était alors à l’Ermitage, pour en avoir son avis, et celui-ci répondit : « J’ai lu avec une grande attention, madame, vos lettres à monsieur votre fils, elles sont bonnes,

  1. Mémoires de madame d’Épinay, t. III, p. 251.