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de donner des idées fausses aux enfans et de les dégoûter de la réalité. Je n’ai jamais vu d’enfant qui ait pris au sérieux la citrouille dont la fée de Cendrillon lui fait un carrosse, et les souris dont elle lui fait un bel attelage de six chevaux gris de perle. Les enfans aiment la baguette des fées et les merveilles qu’elle produit, mais ils ne demandent pas à leur père ou à leur mère de prendre cette baguette, et ils ne croient pas qu’ils l’auront un jour entre leurs mains. L’enfance a une faculté que l’homme conserve et dont il fait grand et bon usage, quoiqu’il en rougisse et qu’il s’en défende comme d’un défaut : c’est la faculté de l’inconséquence. L’enfant est le contraire du logicien : il croit beaucoup, et il conclut peu.

Il ne faut pas seulement veiller sur la musique, ou, pour mieux parler, sur la littérature, qui est l’enseignement général du public ; il faut veiller aussi sur les autres arts, car tous les arts servent ou nuisent à l’éducation du peuple. « Suffira-t-il, dit Platon, de veiller sur les poètes et de les contraindre de nous offrir dans leurs vers un modèle de bonnes mœurs, sinon de renoncer parmi nous à la poésie ? Ne faudra-t-il pas encore surveiller les autres artistes et les empêcher de nous offrir dans les représentations des êtres vivans, dans les ouvrages d’architecture ou de quelque autre genre, une imitation vicieuse, dépourvue de correction, de noblesse et de grâce, et interdire à tout artiste incapable de se conformer à cette règle l’exercice de son art, dans la crainte que les gardiens de l’état, élevés au milieu des images d’une nature dégradée comme au sein de mauvais pâturages, et y trouvant chaque jour leur entretien et leur nourriture, ne finissent par contracter peu à peu, sans s’en apercevoir, quelque grand vice dans leur âme ? Ne devons-nous pas au contraire rechercher ces artistes qu’une heureuse nature met sur la trace du beau et du gracieux, afin que, semblables aux habitans d’un pays sain, les jeunes guerriers ressentent de toutes parts une influence salutaire, recevant sans cesse, en quelque sorte par les yeux et les oreilles, l’impression des beaux ouvrages, comme un air pur qui leur apporte la santé d’une heureuse contrée et les dispose insensiblement, dès leur enfance, à aimer et à imiter le beau, et à mettre entre eux et lui un accord parfait ? »

En lisant ces belles paroles, je me figure toujours que je lis le récit de l’éducation de Phidias et des grands artistes de la Grèce, et notez que Platon n’applique point ces principes à l’éducation des artistes, mais à celle des guerriers, à celle des citoyens de son état imaginaire. Voilà cette éducation par les arts dont la pédagogique moderne n’a pas la moindre idée, cette éducation qui, s’aidant de tous les sens de l’homme, et non pas seulement de son intelligence, lui fait arriver l’idée du beau et du bon par toutes les voies, éducation