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étendre sa protection sur les Grecs, qui auront cessé d’être en état de résistance ouverte à leur souverain. »


Il règne dans ces deux lettres, dans la seconde surtout, une telle exagération, les idées et l’expression même en sont parfois si excessives, si bizarres ; il y a tant d’étrangeté dans cette image du flot révolutionnaire partant du littoral américain de l’Atlantique pour aller battre le rivage méridional de l’empire russe après avoir inondé l’Espagne, l’Italie et la Grèce ; tout cela enfin ressemble si peu au langage d’un homme d’état anglais, que si l’authenticité de ces documens n’était pas incontestable, on hésiterait à les prendre au sérieux. On serait tenté d’y voir une parodie plus ou moins piquante du genre d’argumentation que M. de Metternich s’était habitué, depuis le congrès de Troppau, à mettre en usage pour agir sur l’empereur Alexandre. Rien ne prouve mieux le parfait accord qui existait entre les cabinets de Londres et de Vienne.

C’est cependant à l’aide de ces raisonnemens sophistiques, c’est en exagérant outre mesure la force et les dangers de l’esprit révolutionnaire, avec lequel on affectait de confondre toute aspiration, soit à l’indépendance nationale, soit à la liberté même la plus modérée, que l’Angleterre et l’Autriche parvinrent à arrêter le monarque russe et à l’enlacer dans un dédale de négociations compliquées qui ne devaient aboutir à rien, mais qui retardèrent de sept années la lutte dont on semblait alors si près. Alexandre fut-il aussi complètement leur dupe qu’on l’a cru généralement ? ou bien, comme quelques personnes l’ont conjecturé, était-il retenu aussi par une crainte secrète de compromettre dans une nouvelle guerre, dans une entreprise hasardeuse, la position si haute qu’il devait à d’heureux hasards bien plus qu’à ses talens, et faut-il penser qu’il se prêta sans trop de répugnance à dissimuler ses hésitations sous le voile spécieux d’un généreux sacrifice fait aux grands intérêts de l’Europe ? Il est probable qu’en cette occasion, comme il arrive presque toujours, l’empereur fut déterminé par des motifs d’une nature complexe et dont il ne se rendait pas à lui-même un compte bien net.

La grande faute que commit alors M. de Metternich, enivré par le succès de ses artifices, ce fut de ne pas comprendre qu’il était prudent de ne point le pousser trop loin, que sans doute il était d’une bonne politique de mettre obstacle à de nouveaux agrandissemens de la puissance russe en Orient, mais que si l’on ne se hâtait de procurer à l’empereur une satisfaction honorable pour ses griefs fondés, si on ne pesait pas efficacement sur la porte, tant pour l’amener à donner cette satisfaction que pour mettre fin aux effroyables cruautés commises sur les Grecs, toutes les habiletés diplomatiques finiraient tôt ou tard par échouer contre l’orgueil blessé