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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1120

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idéaliste de quelques écoles italiennes, ni les penchans réalistes des écoles des Pays-Bas : elle ne reflète pas plus les aspirations mystiques de l’art allemand qu’elle ne montre de goût pour le sombre ascétisme et les pieuses guenilles de l’art espagnol : toutefois elle sait profiter à ses heures d’exemples si dissemblables. Rien de moins absolu sans doute que sa méthode, rien de plus facile à dénoncer que les importations de toute sorte dont elle s’est successivement enrichie ; mais il en est de l’art français comme du sol même de la France : tout s’y implante et y fructifie, et la même contrée où s’acclimatent les sapins et les oliviers peut, dans le domaine intellectuel, s’assimiler les produits du nord aussi bien que ceux du midi.

L’école française de peinture procède donc, au moins dans la forme, par voie d’éclectisme, tout en gardant un fonds de qualités natives, ses franchises et ses conditions de prééminence. Cette supériorité que le siècle où nous vivons lui assure encore, elle la tient de la raison, du sentiment exact de toutes les convenances, de sa foi en un certain bon sens général sur lequel elle s’appuie pour mettre en relief le vrai plutôt que le réel, l’intention morale plutôt que le fait pittoresque. La peinture en France est aussi peu technique que possible ; elle parle la langue non d’un art spécial, mais la langue commune des idées ; aussi les tableaux appartenant à notre école sont-ils plus directement que les autres à la portée de toutes les intelligences. Il faut être doué d’une pénétration exceptionnelle pour comprendre dès la première vue les œuvres de Michel-Ange ou d’Albert Durer, de Rembrandt ou de Murillo. Les partis-pris de l’exécution, les témérités de style propres à chacun de ces maîtres permettent au moins à l’admiration d’hésiter et peuvent déconcerter d’abord la sympathie. Personne au contraire, si rapide que soit l’examen, ne se méprendra sur la signification d’un tableau de Poussin, de Lesueur ou de quelque autre maître français, tant l’art matériel s’efface ici devant l’évidence de la pensée, tant les moyens employés sont loin de préoccuper et de distraire. On a bien souvent comparé la peinture à la poésie, et assez de gens depuis Horace nous ont redit que les élémens des deux arts sont les mêmes. Soit, mais à condition de ne voir l’analogie que là où elle existe réellement, et donc pas accoler dans un même faisceau toutes les palettes et toutes les lyres ! Mettez Giotto et ses élèves en regard de Dante et même de Pétrarque, rapprochez le Tintoret de l’Arioste ou Corrège des poètes élégiaques, — rien de mieux ; on peut constater des signes de parenté entre ces imaginations que l’idéal poétique sollicite avant tout et qui, à des degrés divers, se nourrissent de leur propre fantaisie. En revanche, on rencontrerait parmi les peintres qui se sont succédé en France peu de poètes, à prendre ce mot dans le sens