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« gothique fleuri » se substitue partout au style ogival pur, combien l’art français, même durant cette période d’abaissement, reste préférable encore à l’art des Pays-Bas, de l’Allemagne ou de l’Espagne ! Lorsque, deux siècles plus tard, l’architecture se déprave en Italie sous l’influence des Borromini et des Bernin, en France on n’accepte la manière romaine que pour en tempérer la licence par un reste de netteté et de modération dans le style. Il est rare, quelle que soit la date des monumens, que la fantaisie pour la fantaisie, l’art pour l’art, comme on dit aujourd’hui, aient inspiré les architectes de notre pays. Ce qui les dirige le plus ordinairement, ce qui prédomine dans la plupart des œuvres qu’ils ont laissées, c’est l’esprit de retenue et la recherche de la précision.

La sculpture française n’a que des principes et des coutumes analogues. En général, la beauté matérielle a été considérée par nos statuaires comme moyen et non comme but ; leur ciseau, en modelant des formes, prétend surtout rendre des pensées. L’expression, tantôt forte, tantôt élégante, mais toujours juste et claire, n’est-elle pas la qualité qu’il faut admirer le plus dans les morceaux des XIIIe et XVe siècles, comme dans les travaux de Jean Goujon et de Puget ? Veut-on d’autres exemples ? Depuis les auteurs inconnus de tant de statues qui ornent les églises du moyen âge jusqu’aux artistes de la renaissance, et depuis ceux-ci jusqu’à Houdon, quelle riche suite de sculpteurs portraitistes ! Cette science de la ressemblance intime, cette faculté de donner à un portrait physique une signification immatérielle, d’où procèdent-elles, sinon du besoin, commun à tous nos artistes, d’envisager surtout le côté moral de l’œuvre, et de ne rien laisser d’indéfini ? l’art musical lui-même est traité dans notre pays en vertu de ces doctrines, ou plutôt de ces instincts. Le genre de musique qui n’éveille que des sensations vagues et une admiration indéterminée, la musique qui commence là où finit le langage, n’est pas le fait des compositeurs français. Aussi aucun d’eux n’a-t-il excellé dans la symphonie. Plus d’un au contraire a écrit des chefs-d’œuvre pour le théâtre, parce qu’il s’agissait alors d’un sens net à formuler, de sentimens précis à traduire. Quels que soient les moyens d’exécution employés, la raison aiguisée par l’esprit, le don ou la science de l’expression sont des qualités éminemment françaises. C’est là, il faut le répéter, le caractère dominant de l’art national et l’unité principale de tous les contrastes qu’il embrasse.

Si l’on suit la marche de notre école de peinture depuis ses premiers progrès jusqu’à l’époque actuelle, il n’est pas difficile de reconnaître partout les mêmes tendances et le même mélange de spéculation et d’intelligence pratique. La peinture s’est bien souvent transformée en France ; mais tout en subissant tantôt l’influence italienne,