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Quand d’abord nous aimons, nos cœurs se parent de bonheur comme ferait un arbre qui, au milieu de l’hiver, se verrait tout d’un coup chargé de fleurs, — la fois suivante ce n’est plus rien, — et un grand ennui consume l’âme ; — pour ce qui me regarde, il n’y a plus d’inconnu possible entre moi et le tombeau que ce qui peut exister dans le contact de la mort… Je suis malheureux, ami, jusqu’au fond de mon être. Je vois à travers mon découragement un ciel inaccessible, plein d’émotions nouvelles. Mes voiles pliées battent le haut mat de ma volonté, et je pourris sur l’onde quand ma proue devrait raser de lointaines îles d’or. »

Ces dernières lignes, si rebelles à la traduction, je les livre dans l’original aux lecteurs curieux des beautés de la langue anglaise :

… My drooping sails
Flap idly ’gainst the mast of my intent
Irot upon the waters when my prow
Should grate the golden isles.


L’Angleterre ne s’y est pas trompée, et dans ce passage, déjà presque proverbial, elle s’est plu à reconnaître la vraie touche shakspearienne.

Toute la conversation de Walter avec Édouard est admirable. — « Nous nous trompons tous, dit Édouard, nous taxons l’âme afin que le corps soit riche ; renversons cela, et, pour que l’âme reste en paix, que le corps s’épuise ! — Une seule âme est en elle-même plus riche que mille mondes ; ses actes ne sont que son ombre qu’elle projette, et trop souvent tous ses trésors restent inconnus : voyez parfois une montagne rugueuse qui ne sert qu’à mal nourrir de chétifs troupeaux ; percez-en les flancs, et l’or en coule à flots ! — Descendons, descendons, creusons nos âmes : ce sont des mines ; n’adorons pas les livres des autres, mais servons-nous-en pour nous éclairer, surtout méprisons le monde et n’écoutons pas le bruit qu’il fait. — Ah ! vous voulez la gloire, et pour la gagner, vous feriez volontiers un apprentissage de Jacob ! Eh bien ! les esprits calmes et pleins de sérénité sont aussi supérieurs aux gens de votre espèce que le sont les lumineuses et paisibles étoiles aux nuages qui éclatent en éclairs et en pluie, lancent leurs grêlons sur la terre et se dévorent en emportemens. — Les natures vraiment grandes demeurent satisfaites de la conscience qu’elles gardent de leur propre valeur, et ne demandent aucune confirmation de cette valeur à la foule. Veux-tu ce calme, cette immobilité ? » Chez Walter, le sang de la « gent irritable » s’enflamme aussitôt, et l’ennuyé de tout à l’heure s’emporte. « Tu ferais de ce monde une roche d’huîtres ! s’écrie-t-il. Ma foi ! j’aimerais encore mieux, je crois, être l’écume blanche et sautillante de la vague que la mer dans son huileuse torpeur ! Si je vis, que ce soit pour aimer, pour sentir, sinon plutôt la mort ! — Et pourtant, répond