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avait souvent eu à manger des huîtres à Spandau ? Il me dit que non, attendu que Spandau était trop éloigné de la mer. Le ci-devant pensionnaire de Spandau se plaignait même de ce qu’il n’y eût pas toujours de la viande ; seulement, disait-il, une mouche tombait quelquefois dans notre soupe, et on nous disait que c’était de la volaille.

À la même époque, je fis la connaissance d’un Français, commis-voyageur en vins, qui ne se lassait pas de me répéter combien on s’amusait alors à Paris ; il me racontait qu’on y vivait comme au pays de Cocagne, qu’on y chantait du matin au soir la Marseillaise et en avant, marchons ! ou Lafayette en cheveux blancs ! et qu’à tous les coins de rue on voyait écrit en grandes lettres : Libéria, égalité, fraternité ! Il exaltait aussi le vin de Champagne de sa maison, dont il me donna un grand nombre de cartes d’adresse, et il me pourvut de lettres de recommandation pour les meilleurs restaurans de Paris, au cas où je voudrais visiter la capitale de l’univers pour me procurer une distraction. Comme j’avais réellement besoin de m’égayer un peu, et que Spandau est trop éloigné de la mer pour y manger des huîtres, qu’en outre les chaînes prussiennes sont très froides en hiver, et que je ne voulais pas goûter de la volaille de sa majesté le roi de Prusse, je me décidai à faire un voyage à Paris, dans la patrie du vin de Champagne et de la Marseillaise, afin d’y boire le premier et d’entendre chanter la dernière, avec en avant marchons ! et Lafayette en cheveux blancs !

Le 1er mai 1831, je passai le Rhin. Je ne vis pas le vieux dieu, le père Rhemus, et je me bornai à lui jeter ma carte de visite dans le fleuve. D’après ce qu’on me dit, il était assis au fond de l’eau, occupé à étudier de nouveau la grammaire française de Meidinger : pendant la domination prussienne, il n’avait guère fait de progrès en français, et il voulait un peu rafraîchir ses connaissances en cette langue, pour ne pas être pris au dépourvu en certains cas. Je crus l’entendre conjuguer dans les flots : « J’aime, tu aimes, il aime, nous aimons. » - Mais qu’est-ce qu’il aime ? À coup sûr, pas les Prussiens. Je n’aperçus que de loin la cathédrale de Strasbourg ; elle hochait la tête comme le vieux et fidèle chevalier Eckart, quand il voit un jeune freluquet se diriger vers la montagne de Vénus.

À Saint-Denis, je m’éveillai d’un doux somme matinal, et j’entendis pour la première fois le cri des conducteurs de coucou : Paris ! Paris ! accompagné du son des clochettes d’un marchand de coco. Dans cette bourgade, l’on respire déjà l’air de la capitale, qu’on voit poindre à l’horizon. Lorsque je descendis de voiture, un vieillard sec et râpé s’empara de moi, et voulut m’engager à visiter les tombeaux des rois ; mais je n’étais pas venu en France pourvoir des rois morts,