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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1184

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sur la toile classique de David. — Voyageur, quand tu descends à Paris la Chaussée-d’Antin pour prendre les boulevards, et qu’à la fin tu arrives près d’un défilé boueux appelé la Rue-Basse du Rempart, sache que tu te trouves ici auprès des Thermopyles littéraires, où B… tomba héroïquement avec ses trois cents actionnaires !

Les articles que j’eus à écrire pour le journal de B…, et que j’y fis imprimer, me donnèrent l’idée de parler plus amplement sur l’Allemagne et sur son développement intellectuel. C’est ainsi que se forma mon livre de l’Allemagne. J’ai voulu révéler ici non seulement le but de ce livre, sa tendance et ses intentions polémiques, mais aussi de quelle manière il prit naissance, afin que le lecteur pût apprécier le degré de foi et de confiance qu’il peut accorder à mes élucubrations. Bien que je me sois efforcé d’être aussi peu ennuyeux que possible, j’ai cependant renoncé d’avance à tous ces effets de style et de phrases qu’on rencontre quelquefois chez Mme de Staël, cet écrivain le plus grand de la France pendant l’empire. Oui, l’auteur de Corinne surpasse à mon sens tous ses contemporains français, et il est dans son livre des pages éloquentes que je ne puis assez admirer ; mais ces belles fusées laissent souvent derrière elles une certaine obscurité. Nous sommes aussi forcé d’avouer que son génie, loin d’être sans sexe, pour rappeler sa propre définition, est essentiellement féminin. Hélas ! son génie est femme, il a de la femme tous les caprices, et malgré les magnificences de sa parole, c’était bien mon droit de contredire Mme de Staël sur certains points. La contradiction était d’autant plus nécessaire, que les objets traités par elle dans le livre de l’Allemagne étaient inconnus aux Français et avaient pour eux le charme dangereux de la nouveauté, comme par exemple tout ce qui a rapport à la philosophie allemande et à notre école romantique. Je crois avoir donné dans mon livre, sur ces deux sujets, les éclaircissemens les plus sincères, et le temps a confirmé ce qui, à l’époque où je l’avançais, paraissait inoui et impossible.

Oui, pour ce qui regardera philosophie allemande, j’avais divulgué sans réserve le secret de l’école qui, enveloppé dans des formules scolastiques, n’était connu que des initiés de première classe. Mes révélations excitèrent en France le plus grand étonnement, et je me rappelle que d’éminens penseurs de ce pays m’ont avoué avec naïveté qu’ils avaient toujours pris la philosophie allemande pour un certain brouillard mystique, dans lequel la divinité était cachée comme dans un sanctuaire de nuages. Ils ajoutaient que les philosophes allemands leur avaient toujours paru être des visionnaires en extase, qui ne respiraient que la piété et la crainte de Dieu. Ce n’est pas ma faute s’il n’en a jamais été ainsi, et si la philosophie allemande