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d’idées, et son petit livre intitulé les Garanties de la Société fut un moment le catéchisme des communistes allemands. Le nombre de ceux-ci s’est accru depuis d’une manière formidable, et leur parti est sans contredit à cette heure le plus fort de tous au-delà du Rhin. Les ouvriers allemands forment le noyau d’une armée de prolétaires très bien endoctrinée, sinon disciplinée. Ces ouvriers allemands professent presque tous l’athéisme, et, pour dire la vérité, ils ne peuvent se dispenser de cette négation complète des idées religieuses du passé sans se trouver en contradiction avec leur principe, et dès lors sans tomber dans l’impuissance. Ces cohortes de la destruction, ces sapeurs effroyables, dont la hache menace tout l’édifice de la vieille société, sont de beaucoup supérieurs aux chartistes d’Angleterre et aux niveleurs et égalitaires des autres pays. Les chartistes anglais sont seulement poussés par la faim et non par une idée ; aussitôt qu’ils se seront rassasiés de roastbeef et de plumpudding, désaltérés de bonne ale, ils ne seront plus dangereux : affamés, ils sont forts ; repus, ils tomberont à terre comme les sangsues. Les chefs plus ou moins occultes des communistes allemands sont de grands logiciens, dont les plus forts sont sortis de l’école de Hegel, et ils sont, sans nul doute, les têtes les plus capables, les caractères les plus énergiques de l’Allemagne. Ces docteurs en révolution et leurs disciples impitoyablement déterminés sont les seuls hommes en Allemagne qui aient vie, et c’est à eux, je le crains, qu’appartient l’avenir. Tous les autres partis et leurs représentans tudesques sont morts, archi-morts, et bien enterrés sous la voûte de l’église de Saint-Paul, à Francfort. Je n’exprime, pas ici des vœux, ni des regrets ; je relate des faits, et je dis la vérité.

Le mérite d’avoir annoncé depuis longtemps dans mon livre de l’Allemagne les terribles symptômes des événemens qui ne se sont accomplis que plus tard, ce mérite, je ne le dois pas à une très grande sagacité. Moi qui avais vu couver les oiseaux nouveaux, j’ai pu facilement prédire quelles chansons nouvelles on fredonnerait, sifflerait et gazouillerait plus tard en Allemagne. J’avais vu Hegel assis avec sa triste mine de poule couveuse sur les œufs funestes, et j’avais entendu son gloussement. Pour dire la vérité, j’ai rarement compris ce pauvre Hegel, et ce n’est que par des réflexions arrivées après coup que je suis parvenu à saisir le sens de ses paroles. Je crois même qu’il ne voulait pas être compris du tout, et que c’est pour cela qu’il avait adopté un langage si morose et si entortillé ; la même cause nous explique peut-être aussi sa prédilection pour des personnes dont il savait n’être point compris, et qu’il pouvait avec toute sécurité honorer de son intimité. Leur médiocrité était une garantie de discrétion. C’est ainsi que nous ne pouvions comprendre la