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Un abbate romain ne sert pas seulement l’église du Christ, mais aussi Apollon et les Muses. Il est leur mignon, et les Grâces lui tiennent l’écritoire quand il compose ses sonnets, qu’il récite avec des intonations harmonieuses à l’académie des Arcadiens. Il est connaisseur des arts, et il n’a besoin que de tâter le cou d’une jeune cantatrice pour pouvoir prédire avec assurance si elle sera un jour une diva, une celeberrima cantatrice, une de ces prima donna qui remuent l’univers. Il se connaît aussi en antiquités, et le torse déterré d’une bacchante grecque lui fournit la matière d’un traité savant qu’il écrit en langue latine avec des tournures et des cadences cicéroniennes des plus élégantes, et qu’il dédie respectueusement au chef suprême de la chrétienté, au pontifex maximum, comme il s’évertue à l’appeler pour ne pas sortir du style classique. Et surtout quel amateur de tableaux est le signore abbate, qui visite les peintres dans leurs ateliers et qui leur communique sur leurs modèles féminins les plus fines observations anatomiques ! l’auteur de ces aveux aurait été précisément du bois dont on peut tailler de tels abbate. J’aurais flâné avec le plus ravissant dolce far niente à travers les bibliothèques, les galeries, les basiliques et les ruines de la ville éternelle, étudiant au milieu des jouissances et jouissant au milieu des études, et j’aurais dit la messe devant l’auditoire le plus distingué ; je serais aussi monté en chaire, pendant le carême, pour prêcher la sévérité des mœurs, sans cependant devenir jamais fastidieux par des paroles trop austères et sans blesser jamais les oreilles et les consciences délicates ; — j’aurais surtout édifié les dames romaines, et grâce à leur patronage et à mes mérites, je serais peut-être parvenu aux plus hauts grades dans la hiérarchie de l’église ; je serais peut-être devenu un monsignore, un bas violet, même le chapeau rouge eût pu me tomber sur la tête. — Et comme d’après le proverbe il n’est pas de tout petit prêtrillon qui ne voudrait devenir un tout petit pape, je serais à la fin peut-être arrivé au faite même du pouvoir souverain du Vatican ; — car, bien que je ne suis pas ambitieux de mon naturel, je n’aurais cependant pu refuser d’accepter le pontificat, si le choix du conclave était tombé sur moi.

La dignité papale est en tout cas un emploi très honorable, et j’aurais bien su m’acquitter des fonctions de mon nouveau rôle. Je me serais nonchalamment assis sur le siège de saint Pierre, tendant ma mule aux baisers de tous les pieux chrétiens, clercs ou laïques ; je me serais également, avec le plus parlait sang-froid, fait porter en triomphe à travers les arcades de la grande basilique, et seulement, dans la crainte des cahots, je me serais tant soit peu cramponné au bras du fauteuil d’or porté sur les épaules de six camériers vigoureux. À mes deux côtés auraient marché des capucins avec des cierges