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mais ce n’était pas aux pages vraies, aux pages émouvantes, que s’adressaient les éloges des salons ; c’était surtout à la sotte vanité du voyageur qui, à son retour d’Égypte, racontait ses conversations avec le pacha, c’est-à-dire que les salons, admiraient précisément ce qui méritait le moins d’attirer l’attention. Mateo Falcone avait classé M. Mérimée parmi les écrivains les plus habiles ; le Vase étrusque fit de lui un écrivain à la mode.

Les hommes d’un goût sévère pouvaient craindre qu’il ne se laissât abuser par cet injuste succès. Leur crainte s’évanouit bientôt. L’auteur de Mateo Falcone revint à la vérité, à la simplicité, qu’il avait abandonnées pour un jour. Je n’essaierai pas de juger une à une toutes les nouvelles qu’il a signées de son nom, car cette étude rapide et sommaire serait sans intérêt pour le lecteur. Il me suffira d’en choisir quelques-unes où se révèle pleinement sa manière tout à la fois énergique et contenue. Tamango et la Partie de Trictrac ne laissent rien à désirer sous ce rapport. Dans Tamango, nous assistons à la lutte de l’auteur contre lui-même. Il essaie vainement de demeurer dans les limites de la réalité, d’échapper à la poésie. Quoi qu’il fasse, les images se pressent sous sa plume, et malgré sa résistance il parle une langue qu’il ne voudrait pas parler. Je suis loin de mettre Tamango sur la même ligne que Mateo. Cependant il y a dans le premier de ces récits une effrayante vérité qu’on ne saurait trop louer, et la couleur poétique des dernières pages nous charme sans nous étonner, car elle n’a pour nous rien d’inattendu. C’est une nécessité à laquelle l’auteur n’a pu se soustraire : après avoir assisté à la lutte, nous acceptons la défaite sans surprise. Dans ma pensée, la Partie de Trictrac demeure au-dessous de Tamango. La première partie manque de rapidité, mais la fin est admirable de tout point. La honte et le désespoir du jeune homme qui a triché au jeu après le suicide du Hollandais, son mépris, son horreur pour lui-même, sont dessinés de main de maître : pour atteindre à une telle vérité, il faut un talent consommé.

Arsène Guillot et Carmen ont soulevé de nombreuses objections. Des esprits que je veux croire sincères se sont alarmés de voir l’auteur de Mateo Falcone s’aventurer sur un terrain où les jeunes filles ne pouvaient pas le suivre. Je comprends leurs alarmes sans les partager. Bien des livres, dont le mérite ne saurait être contesté, ne peuvent être mis sans danger entre les mains des jeunes filles. C’est là une question qui n’a rien de littéraire et que nous n’avons pas à traiter. Je ne crois pas que l’art doive s’interdire la peinture du vice et de la corruption par cela seul que cette peinture est dangereuse pour les cœurs inexpérimentés : à ce compte, le champ de l’art se rétrécirait singulièrement. Arsène Guillot, malgré la fange où