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de millions d’hommes dans les infertiles vallées de l’Obi, du Ienisse et de la Léna ? Entre les parties basses de ces vallées, qui sont noyées par les débordemens de l’été et dévastées par les froids de l’hiver, et les parties hautes, situées près des sources des mille affluens de ces immenses fleuves qui rivalisent avec le Mississipi, l’Amazone, l’Orénoque ou le Saint-Laurent, lesquelles parties hautes sont stérilisées par leur configuration mon tueuse et leur grande élévation, où se trouve la lisière fertile qui pourrait nourrir tant d’habitans ? Je ne le vois ni chez les populations urbaines ni chez les minces peuplades de cultivateurs russes, tartares ou mongols. On ne peut guère compter la population des districts des mines, qui font la principale richesse de la Sibérie, et sans lesquelles on a dit que la Russie en abandonnerait bientôt la souveraineté. En réduisant donc à deux millions au plus la population de la Sibérie avec les géographes français, on sera encore, je pense, plutôt au-dessus qu’au-dessous de la réalité ; encore faudra-t-il admettre, depuis l’exploration de Gmelin et de ses compagnons, un progrès que rien n’indique avoir eu fieu, surtout depuis la diminution des produits de la chasse aux fourrures, qui, comme au Canada, a coïncidé avec l’activité destructive des chasseurs modernes.

Il est donc bien établi que les vents d’ouest, qui sont les vents dominans pour toute l’Europe, apportent sur cette partie du monde la chaleur et l’humidité de l’Atlantique du nord. La chaleur nous donne le climat favorable dont nous venons de parler, et l’humidité, qui se dépose à chaque barrière élevée que franchit le vent, produit l’arrosement européen, l’un des plus avantageux du globe après celui du bassin du Mississipi et du Missouri, qu’on estime pouvoir nourrir aisément deux cents millions d’habitans. L’Europe en compte à peu près deux cent cinquante millions.

Le même contre-courant d’eau chaude qui remplit le bassin de l’Atlantique du nord se produit également dans le Pacifique septentrional, mais il remonte beaucoup moins haut, d’après la configuration des côtes d’Asie et d’Amérique. Cependant, à la faveur du vent d’ouest, il donne à l’Orégon et à la Californie un climat qui rivalise avec celui de l’Europe, et il entretient dans la Colombie une végétation forestière sans pareille dans le monde entier. Ce vent d’ouest verse sur l’Amérique anglaise ces prodigieuses masses d’eau qui alimentent les fleuves qui vont à la Mer-Glaciale et les lacs sans nombre et presque sans limites qui couvrent cette partie du globe. Ce courant d’air, passant au-dessous de l’Amérique et de la Sibérie orientale, laisse ces deux régions sous l’influence prédominante du vent de nord-est, qui est d’une froideur désastreuse, et, pendant le calme, sous l’influence non moins sévère du rayonnement vers les