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régions vinicoles et la hausse continue dans le prix du vin. En face de cette situation, le gouvernement a pensé qu’il pourrait faciliter nos approvisionnemens en supprimant, au moins en partie, les droits de douane qui atteignent l’importation des vins étrangers. Il a rendu en conséquence, le 30 août dernier, un décret qui réduit au simple droit de balance de 25 centimes par hectolitre le tarif des vins ordinaires. Antérieurement, le droit était de 15 fr. par hectolitre pour les vins importés par la frontière de terre, et de 35 fr. pour les vins importés par mer. C’était, en d’autres termes, une véritable prohibition. La suppression de ces taxes, évidemment exagérées, n’est, il est vrai, décrétée qu’à titre provisoire ; mais il y a lieu d’espérer qu’après une courte expérience, elle deviendra définitive, aussi bien que la réduction de tarif prononcée, dans des circonstances analogues, à l’égard des bestiaux étrangers. Les gouvernemens devraient bien comprendre aujourd’hui que les taxes trop élevées sur les denrées alimentaires de première nécessité sont le plus souvent inutiles et parfois dangereuses. L’exemple de l’Angleterre est là pour démontrer qu’en pareille matière le régime le plus libéral est le meilleur, non-seulement pour ceux qui consomment, mais encore pour ceux qui produisent.

C’est donc, à tous les points de vue, une bonne et utile mesure que le décret du 30 août dernier. Il est douteux cependant qu’il produise quant à présent, au point de vue de l’approvisionnement général, un effet très sensible, car la plupart des pays qui nous entourent sont, comme la France, ravagés par l’oïdium ; la récolte de 1854 y sera peu abondante, et les prix s’y maintiendront très élevés. Pour que la franchise décrétée récemment exerçât sur l’état de notre marché une influence appréciable, il paraîtrait nécessaire de l’appliquer à la fois aux vins ordinaires et aux vins de liqueur. Ceux-ci, dont le tarif n’a pas été modifié, restent frappés du droit de 100 francs par hectolitre, qui date de 1816. Or, malgré l’exagération de cette taxe, il est entré en France pendant l’année 1858 plus de 3,500 hectolitres de vins de liqueur, provenant en majeure partie de l’Espagne. Peut-être dira-t-on que cette catégorie de vins doit supporter sans inconvénient un impôt très élevé ; mais il convient de rappeler que, sous le titre de vins de liqueur, la douane comprend des produits de qualité fort ordinaire et de bas prix. Il ne s’agit donc pas, comme on serait autorisé à le croire au premier abord, d’une denrée de luxe. Les vins d’Espagne, classés parmi les vins de liqueur, sont accessibles à la consommation populaire, et ils pourraient en tout cas prendre dans les distilleries d’alcool la place de nos produits, qui sont devenus insuffisans.

L’Espagne, depuis la révolution du 17 juillet, ou plutôt depuis la formation du nouveau gouvernement sorti de cette révolution, l’Espagne flotte entre deux tendances qui se livrent un perpétuel combat. C’est la lutte qui suit toute commotion publique entre les influences révolutionnaires survivantes et l’esprit d’ordre qui cherche à renaître, qui a pour complice tous les intérêts en souffrance, tous les besoins de conservation. Cette lutte existe de toutes parts aujourd’hui au-delà des Pyrénées, et la politique même du gouvernement semble en être l’image, le résumé le plus significatif. Depuis plus d’un mois qu’il est au pouvoir, le ministère marche ainsi sous cette double influence : d’un côté, il transige avec la révolution dont il est né, de l’autre,