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toutes pastorales de l’Unterwald. Stanz compte beaucoup de peintres et de sculpteurs dont quelques-uns se sont fait un nom en Suisse et en Allemagne.

Quelque temps après sa visite à Thalwyl, M. de Sinner, qui avait annoncé au chapelain l’intention de venir le voir avec M. Murray, reçut la lettre suivante :


« Monsieur le professeur,

« Je suis un peu effrayé de ce que vous me dites. Vous croyez que son excellence M. Murray m’écrira une lettre arabe, turque, anglaise ; je saurai bien déchiffrer l’anglais, mais pas du tout le turc, parce que je ne possède aucune lettre dans cette langue. En arabe, je ne suis pas non plus fort, car dans les premiers temps je n’ai étudié qu’une courte grammaire arabe, et comme livres de lecture je ne possède qu’une description de l’Égypte et un petit dictionnaire. Cette lettre serait donc un trop grand honneur pour moi.

« Vous voulez un jour me faire une visite avec son excellence. Là je tremble encore davantage. Je n’ai pas encore entendu parler un mot d’anglais, et même, vous, je ne vous comprends pas bien quand vous parlez allemand, parce que mes oreilles sont très dures. Comment cette visite se passera-t-elle ? Cela me ferait certainement un grand plaisir, si seulement j’étais un meilleur philologue ; mais sachez que je ne sais que regarder les langues comme un niais. Saluez bien de ma part nos amis philologues Murray, Parrot, etc., mais rabattez beaucoup de leur attente à mon égard. Je vous souhaite, etc.

« Jacob Matthys, chapelain.

« Thalwyl, près de Stanz, le 25 juin 1854. »


M. Parrot est un orientaliste remarquable, conseiller d’état du canton de Berne. Un jour il envoya au chapelain un livre sur l’Égypte écrit en langue hiéroglyphique. Le chapelain le lui rendit sans avoir pu le lire ; seulement il accompagna l’envoi de deux lignes en chinois dont voici la traduction : « Quand même on a l’amour des langues, si on n’a ni temps ni argent, comment peut-on les apprendre ? — Quoique j’aie quelques livres, ils ne suffisent cependant pas pour apprendre les langues orientales et occidentales. »

Il nous a semblé que les savans philologues de l’Europe ne liraient pas sans intérêt de si touchans détails. Nous nous sommes dit même que leur attention, une fois éveillée, pourrait porter ses fruits pour l’humble savant de Thalwyl. C’est dans cet espoir que nous avons publié ces lettres où se peignent si vivement, avec la modestie propre au philologue de l’Unterwald, l’ardeur de savoir, la curiosité patiente qui distinguent ses compatriotes.

Max Buchon.

Berne, août 1854.

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V. DE MARS.