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pour les phoques du Baïkal, ces curieuses acclimatations. La pisciculture ou l’acclimatation des poissons n’est-elle pas maintenant à l’ordre du jour ?

Reportons-nous à la catastrophe qui, abîmant les anciens continens et relevant le fond des mers pour en faire de nouvelles terres, laissa le bassin du Baïkal rempli d’eau de mer avec ses phoques, ses éponges, ses moules marines. Peu à peu, ce lac, recevant cent soixante-dix rivières de six cents sources diverses et déversant son trop plein par l’Angara inférieure, commença à se dessaler. Peu à peu, les phoques marins s’habituèrent à ce changement de régime et devinrent phoques d’eau douce. Je n’ai pas besoin de dire que s’il y avait une communication souterraine des eaux du Baïkal avec la mer, ce canal, où l’eau coulerait avec une vitesse de 70 mètres par seconde, aurait bientôt vidé le lac, quelque mince que fût à l’origine le conduit que l’on supposerait. Les phoques pourraient bien s’écouler dans la mer ; mais remonter un courant d’une vitesse triple de celle d’un cheval de course, c’est aussi impossible à un phoque qu’il l’est à un ballon de marcher contre le vent. Les baleines et les dauphins font de 10 à 11 mètres par seconde dans l’eau au repos ; il y a loin de là à faire plus de 70 mètres en s’appuyant sur un courant rétrograde[1]. On peut croire que c’est par dessalement progressif que sont restées dans les rivières, en s’acclimatant, plusieurs coquilles maritimes qui sont devenues peu à peu coquilles d’eau douce. Voici donc un nouveau système d’acclimatation avec changement de milieu. Mettez par exemple des huîtres au bord de la mer dans un parc susceptible de recevoir un filet d’eau douce, et voyez si peu à peu vous pouvez faire vivre ces mollusques dans de l’eau en partie dessalée, et enfin si eux ou leurs descendans pourront vivre dans l’eau pure. Alors on pécherait des huîtres entre les ponts de Paris comme

  1. Au commencement du siècle dernier, l’existence des phoques dans le lac Baïkal faisait déjà l’étonnement d’Andersen, magistrat de Hambourg, savant illustre et homme d’état distingué : « Ceci me paraissant fort extraordinaire, je pris le parti, pour m’assurer de la vérité du fait, de m’adresser à M. Heidenreich… Il me confirma la vérité de la narration, en ajoutant qu’il avait vu ces animaux sur le lieu même, qu’ils ressemblaient en tout à ceux de la Baltique, sinon qu’ils étaient un peu plus petits ; que le lac étant gelé, ils savaient adroitement conserver par-ci par-là des ouvertures dans la glace pour en sortir et pour y rentrer selon leurs besoins… J’ai souvent réfléchi comment il a été possible que ces animaux et les gros esturgeons qu’on y trouve aussi soient entrés dans ce lac. » Andersen imagine que les phoques et les autres animaux et poissons marins ont remonté le Ienisseï, la Tongouska, l’Angara, et sont venus, en changeant brusquement de milieu, vivre dans le plus pur de tous les lacs du monde. Au moins il n’admet pas ce qui est mécaniquement impossible. Cette impossibilité n’a pas frappé le sage M. Hill, auquel j’ai encore à reprocher une prétendue raréfaction de l’air par le froid (rarefaction of the air by the cold) qu’il donne comme la cause d’un effet de perspective aérienne observé sur le lac Baïkal.