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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/139

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de la baleine, dans les mers qui baignent à la fois l’Asie et l’Amérique, n’est pas sans importance pour la France, indépendamment de la question commerciale. Dans aucune mer, les baleines ne sont aussi nombreuses, et le bâtiment de l’état qui fait le service entre Okhostk et Pétropaulosk avait le continuel spectacle de ces grands souffleurs, qui lançaient des jets d’eau comme ceux des bassins de Versailles ou de nos places publiques.

Une des plus étonnantes branches de commerce du monde est celle de l’ivoire fossile de Sibérie, que nous avons omise jusqu’ici à dessein. Iakoutsk est le centre de ce commerce[1]. Cette ville, située sur la Lena, non loin du cercle polaire, communique avec les côtes de la Mer-Glaciale. C’est là, comme dans les îles que forme la Lena à son embouchure et encore dans celles qui sont situées au nord-est, que se trouvent en abondance des restes d’animaux dont l’ivoire est aussi frais que celui des éléphans actuels de l’Inde. Nos billes de billard sont souvent faites avec les défenses d’animaux non contemporains de l’homme, et si, par les prestiges de Faust, on ranimait les objets, la bille d’ivoire des cercles et des clubs modernes reproduirait non un éléphant, mais bien un mammouth ou un mastodonte. « Longtemps avant notre arrivée à Iakoutsk, dit M. Hill, plusieurs gens, montés sur des canots, vinrent à bord pour nous offrir de nous vendre de grandes défenses de mammouth : c’étaient les premiers restes que nous rencontrions de ce puissant habitant de l’ancien monde. Si le squelette qui est à Saint-Pétersbourg venait à périr, et que tout l’ivoire eût été consommé à faire des étuis, des éventails et d’autres objets de fantaisie pour les dames, l’histoire de ces animaux paraîtrait fabuleuse, et serait mise au rang des fables créées par l’imagination la plus déréglée. » — « Nous apprîmes ici, dit encore M. Hill, cette circonstance peut-être déjà connue en Europe par les naturalistes, savoir, que toutes les dents et toutes les défenses de mammouth qu’on découvre sont dans la position de l’animal debout. Quelque idée que puisse nous donner ce fait de la cause qui a détruit ces animaux, il semble au moins indiquer qu’il y a eu un changement soudain dans la condition des substances matérielles au milieu desquelles leurs dépouilles se rencontrent. Quelques-uns des indigènes nous informèrent que la partie impérissable de leurs corps existe en telle abondance dans les îles de l’Océan-Arctique, au large de la côte de Sibérie, que le sol semble en être entièrement composé. »

  1. Ceux qui trouveraient peu harmonieux les noms des villes sibériennes devront reconnaître que je n’ai pas abusé des noms russes. J’aurais pu effrayer le lecteur avec Tchernoretschineschaya, Bolschekemtschougskaya, Mabokemtschougskaya et autres stations que M. Hill a scrupuleusement orthographiées.