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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/264

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par le poète sont trois sœurs, trois muses, comme diraient les Grecs, les personnifications de l’hymne, de la parole et de la récitation. Certes il avait le sentiment de la beauté de son langage, le peuple qui divinisait tout d’abord la poésie sous la triple forme du vers, du sens des mots et de l’harmonie de la diction. Quant à Tvachtri, nommé Viçvakarmâ (celui dont les œuvres sont variées), charpentier divin, artiste du monde des dieux, il fait le pendant du Vulcain de la fable. Plus habile encore que le forgeron boiteux, fils de Junon, il a fabriqué non-seulement la foudre, mais aussi les chars invisibles qui transportent les habitans des cieux au gré de leurs désirs, et aussi vite que la parole. C’est lui encore qui soutient, en la réparant à propos, la charpente de ce pauvre monde éprouvé par tant de cataclysmes. Qu’on ôte à ce dieu ses marteaux et son enclume, qu’on lui enlève sa physionomie humaine, et il sera l’une des formes du feu, celle qui met en fusion les métaux, la chaleur répandue dans l’air et cachée dans les entrailles de notre globe.

Agni, le feu, qui est le plus impalpable, le plus mystérieux et le plus puissant des élémens, devait occuper la première place parmi les dieux des Aryens. Après lui vient Indra, divinité multiple aussi, tantôt armé de la foudre comme Jupiter, tantôt décochant à travers l’espace ses traits vainqueurs, comme Apollon. À quelle occasion Indra saisit en main le tonnerre pour la première fois, une antique légende, rapportée dans le Mahâbhârata, le raconte dans un style grandiose. Il est nécessaire de connaître ce mythe pour comprendre le rôle d’Indra, et nous essaierons d’en donner une esquisse, en réduisant aux proportions d’un récit abrégé ce long épisode de la première guerre des dieux contre les titans.

Dans le premier des quatre âges du monde vivaient les Dânavas ou Titans, bien difficiles à vaincre par les armes ; on nommait aussi Kâléyas (les noirs, fils de Kali, l’âge de fer) ces troupes d’êtres grandement redoutables. Or, s’étant mis sous la conduite de leur chef Vritra, et tenant en main des armes de toutes sortes, ils se ruèrent tous ensemble contre les dieux, qui avaient Indra à leur tête. Plusieurs fois déjà les dieux avaient fait des efforts pour vaincre ce démon, et ne pouvant y réussir, ils allèrent, précédés d’Indra, trouver le dieu suprême et créateur, Brahma. Le dieu qui se tient au plus haut des cieux, les voyant tous inclinés devant lui, leur dit : « Je connais parfaitement, ô Dévas, l’œuvre que vous désirez accomplir. Allez trouver un sage austère nommé Dadhitchi, plein de générosité, et dites-lui : Donne-nous tes propres os pour le bien des trois mondes ! » Les Dévas arrivent près de l’ermitage du saint, qui vivait en solitaire au milieu des oiseaux au doux chant et au brillant plumage, parmi les gazelles et les bêtes fauves habituées à rester en paix