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d’une poésie plus douce : « O Agni, pour que notre maison traverse heureusement ce monde, tu peux nous donner un vaisseau dont les rames marchent sans jamais s’arrêter, qui transporte à l’abri du naufrage nos guerriers, nos princes, notre peuple ! »

À travers le lyrisme de ces odes, la fibre humaine résonne toujours. Si l’âme a le premier rôle, si c’est elle qui parle et s’exhale en accens inspirés, le cœur fait entendre sa plainte. Le ciel doit être le partage des Aryens après leur mort ; ils iront dans un monde invisible retrouver leurs ancêtres, qui sont presque des divinités à leurs yeux, et cependant ils ne demandent point aux dieux protecteurs cet éternel bonheur de l’autre vie, tant ils sont assurés de l’obtenir[1].

Voilà bien un peuple de croyans qui se fraie la route l’épée à la main parmi les infidèles. Il est sous la colonne de feu, sous la nuée lumineuse. Dans les stances qu’il récite, on sent frémir l’enthousiasme religieux, plus puissant encore que l’instinct guerrier ; s’il a peur quelquefois, il croit et espère toujours. Quand l’ennemi le serre de trop près, il crie vers ses divinités ; les dieux ne sont-ils pas intéressés au triomphe des Aryens qui leur offrent d’abondans sacrifices, qui les nourrissent par de grasses libations, comme le disent les poètes en leur naïf langage ? Exsurgat Deus !… Les nations de bonne race et prédestinées à un avenir glorieux ont seules de ces instincts irrésistibles auxquels obéit le dernier pasteur aussi bien que le chef des guerriers. Quand on lit les hymnes du Rig-Véda, on croit voir les familles aryennes marcher en phalange serrée, les yeux au ciel, l’arc en main, tantôt combattant sous la protection d’Agni, d’Indra, des Marouts, qui sont comme leurs dieux pénates, tantôt chantant après la victoire les stances qui accompagnent le sacrifice. Chose étrange, c’est la conquête de l’Inde qui s’accomplit durant les intermèdes de ces cérémonies religieuses, et cependant les prêtres élèvent la voix bien moins pour célébrer les actions guerrières des chefs de tribus ou le triomphe de leur race que pour invoquer les dieux amis et tutélaires. De cette conquête elle-même, il n’est rien dit dans les Védas. Les noms des chantres inspirés, prêtres ou princes, qui composèrent les hymnes du Rig et du Sâma ont tous été conservés ; à peine si vous rencontrez çà et là la mention de quelques-uns des rois qui contribuèrent par leur valeur à fonder la nationalité aryenne. On dirait au milieu du désert un autel sur lequel fume le feu du sacrifice ; le prêtre parle et chante, et autour de l’enceinte se tiennent le roi et le peuple, qui répondent à sa voix.

  1. Il est vrai que dans les hymnes du Rig-Véda on ne voit pas le lien qui unit l’homme à Dieu, et on pourrait en conclure que les Aryens ne croyaient pas à l’immortalité de l’âme, ou au moins à une autre vie. Cependant la huitième section de l’ouvrage renferme plusieurs morceaux où cette grande question est discutée.