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avec moins de scrupule. Épris pour elle d’un vif et chaste amour, ils ont dit comme Polyeucte :


Elle a trop de vertu pour n’être pas chrétienne.


Saint Augustin lui-même, quoiqu’on doute qu’il eût puisé à sa source l’intelligence du platonisme, a contribué dans plus d’un passage à favoriser cette opinion. Rien de plus légitime, si l’on entend dire que Platon s’est élevé sur la nature divine aux idées les plus voisines de celles qu’abstraction faite de tout dogme révélé professe la théologie, si l’on veut dire encore que sa méthode est la plus propre à ces sortes de recherches, et que tout chrétien qui veut trouver la philosophie, cette part de liberté, dit M. Lescœur, qui est laissée à l’homme dans la recherche du monde invisible, doit la demander à Platon chez les anciens, comme chez les modernes à Leibnitz et à Descartes ; mais s’il existe dans le christianisme une portion exclusivement spirituelle à laquelle la philosophie de Platon peut conduire, il y a dans les dogmes spéciaux un sens positif et littéral auquel ne peut atteindre par elle-même aucune philosophie. Ni la trinité dans Platon, ni celle des alexandrins n’est proprement la trinité chrétienne, cette trinité substantielle que la foi doit embrasser et qui échappe à la science. « Il est de foi, dit Abelly, que le mystère de la trinité ne peut être prouvé. » S’il pouvait l’être, ainsi que tous les dogmes particuliers à la révélation, la distinction entre la philosophie et la religion, entre la foi et la raison, entre la nature et la grâce, serait abolie. Il ne faut pas faire les philosophes plus chrétiens qu’ils n’ont été, sous peine de réduire les dogmes à des symboles d’idées philosophiques, et de même que la philosophie alexandrine n’est pas le platonisme, le platonisme n’est pas l’Évangile. Saint Augustin lui-même s’est par momens élevé contre cette adoration de la sagesse humaine à laquelle il confesse s’être trop abandonné. Son langage descend quelquefois jusqu’à l’injure envers ceux qu’ailleurs il semble accepter pour maîtres, et je ne sais si parmi les passages de ses œuvres dont on se prévaut, il ne s’en trouve pas de ceux qu’il a formellement rétractés.

Mais comme on ne doit pas faire les philosophes trop chrétiens, on doit éviter de faire les chrétiens plus philosophes qu’ils ne l’ont été réellement. Quelques pères assurément méritent ce nom. Cependant la philosophie n’est point partout où se rencontrent des maximes ou des idées qu’elle professe. Bien des pères disent des choses très philosophiques, uniquement parce qu’elles sont chrétiennes, et rien ne prouve qu’ils soient initiés aux procédés méthodiques, aux recherches de psychologie qui servent aies établir didactiquement. On peut savoir que Dieu est parfait, sans avoir lu l’argument de Descartes, et la religion a ce pouvoir d’implanter dans les esprits de hautes vérités, sans exiger d’eux les facultés et les travaux qui font