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XIII.

Lorsque je passe le matin devant ta maison, je suis joyeux, chère petite, quand je te vois à ta fenêtre.

Avec tes yeux d’un brun noir, tu me regardes comme pour sonder mon cœur  : Qui es-tu, et que te manque-t-il, étranger au visage souffrant  ?

« Je suis un poète allemand connu dans les contrées allemandes. Quand on cite les noms les plus glorieux, on cite aussi mon nom.

« Et ce qui me manque, chère petite, manque à plus d’un dans les contrées allemandes. Quand on parle des plus dures souffrances, c’est aussi de ma souffrance qu’on parle. »

XIV.

La mer brillait au loin dans le dernier rayon du couchant ; nous étions assis devant la solitaire maison du pêcheur, nous étions assis muets et seuls.

Le brouillard s’élevait, la vague enflait son sein, la mouette volait de côté et d’autre, et de tes yeux coulaient des larmes, des larmes d’amour.

Je les vis couler sur ta main, et je me jetai à genoux ; sur ta blanche main je pressais mes lèvres et je buvais tes larmes.

Depuis cette heure, mon corps est consumé et mon âme meurt de désir ; — la malheureuse femme m’a empoisonné avec ses larmes.

XV.

Là haut, sur la montagne, s’élève un élégant château. Trois belles demoiselles y demeurent, dont j’ai goûté l’amour.

Jetta m’a embrassé le samedi ; dimanche, ce fut le tour de Julia ; et Cunégonde, le lundi, m’a presque étouffé sous ses caresses.

Cependant le mardi il y a eu fête au château chez mes trois demoiselles ; les messieurs et les dames du voisinage y sont venus à cheval et en calèche.

Quant à moi, je n’ai pas été invité, — et en vérité vous avez agi sottement ! Tantes et cousines, chuchotant entre elles, l’ont remarqué et en ont ri.

XVI.

Au fond de l’horizon, comme ces formes vagues que dessine le brouillard, apparaît la ville avec ses tours, enveloppée dans le crépuscule du soir.

Un vent frais et léger ride la grise surface du fleuve ; le marin assis dans ma barque agite ses rames d’un mouvement monotone.