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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/398

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l’arbitrage du différend turco-russe ; la paix était encore possible. Le gouvernement grec garda une réserve apparente. Durant cet intervalle, où l’issue demeurait incertaine, trois opinions se dessinaient en Grèce parmi les hommes politiques. La première, que nous venons de signaler, voulait que, quel que fût l’événement, la Grèce ne sortit point de la neutralité, qu’elle demeurât fidèle aux puissances occidentales, et qu’elle attendît uniquement de ces puissances, pour prix de sa fidélité, l’accomplissement de ses espérances et de ses vœux d’agrandissement. C’était la manière de voir des hommes les plus intelligens, les plus honnêtes et les plus considérables par leur fortune. La seconde opinion tranchée, celle qui arborait franchement le drapeau russe et qui appelait de tous ses vœux le triomphe de l’empereur Nicolas, n’a pas besoin d’être définie davantage. C’était l’opinion de l’hétairie et des sectateurs de « la grande idée. » Elle s’appuyait, comme nous l’avons dit," sur le fanatisme religieux ; elle avait son armée impatiente et toute prête parmi les fanariotes et les hétérochthones ; les hommes de cette opinion ne cachèrent point leurs regrets et leur dépit tant que les négociations de Vienne rendirent possible le maintien de la paix. Mais entre les deux opinions tranchées, il s’en forma une troisième qui avait la prétention de concilier le but poursuivi par la seconde avec la prudence conseillée par la première : opinion mixte, subtile, tortueuse, qui était au fond aussi dépourvue de véritable habileté que de franchise. Il faut que la Grèce profite de la guerre engagée entre la Turquie et la Russie, sans cependant se brouiller avec l’Occident : tel était le problème. La solution que l’on rêvait était celle-ci : on insurgerait l’Epire, la Thessalie et la Macédoine ; on aiderait les insurrections par tous les moyens secrets ; des volontaires grecs iraient les exciter, les grossir et les commander. Néanmoins le gouvernement ne se compromettrait pas ostensiblement dans cette tentative ; il prendrait des mesures apparentes de neutralité, pour couvrir sa responsabilité vis-à-vis des puissances occidentales ; il aurait l’air d’être débordé par un mouvement national irrésistible ; contre les plaintes de la France et de l’Angleterre, il plaiderait son impuissance. De la sorte la Grèce, à la faveur du conflit oriental, prendrait ses gages ; puis, la guerre terminée, au moment où l’Europe négocierait une pacification générale, la Grèce se présenterait au congrès final avec des faits accomplis. Pour prouver que l’on pouvait compter sur le concours ou au moins sur l’indulgence de l’Europe, les partisans de cette opinion rappelaient les diverses phases de la lutte de l’indépendance, d’abord condamnée par tous les cabinets et à la fin secondée non-seulement par l’opinion des peuples, mais par les gouvernemens de l’Occident. La suite n’a pas tardé à montrer que ces vues dangereuses, si