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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/426

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l’homme se pose en souveraine et en arbitre là où il n’existe d’autre souveraineté que celle de Dieu. Rétablir l’empire du droit divin, tel est le but, en sorte que, prenant au point de départ la liberté, la paix et le bonheur comme destination de l’homme, M. l’abbé Mitraud arrive à la théocratie comme au seul moyen d’y atteindre. Le chemin peut sembler singulier ; mais la théocratie de M. l’abbé Mitraud ne ressemble pas aux théocraties ordinaires : ce n’est point la domination du clergé ; elle n’a d’autre mission que de conduire l’homme à Dieu. Si l’auteur veut dire que les sociétés modernes doivent se pénétrer de plus en plus du principe chrétien, et que le sacerdoce a pour mission spéciale de rappeler sans cesse aux hommes l’infaillible puissance de ce principe, cela est juste sans doute, bien que cela n’ait rien de nouveau et ne puisse devenir l’élément d’un système. Si la théocratie est investie d’un pouvoir coërcitif, en quoi se distingue-t-elle de toutes les théocraties ? Quand M. l’abbé Mitraud parle de la raison humaine pour nier sa souveraineté, quel est le philosophe assez troublé pour donner à ce mot un sens indéfini ? Ce qu’on veut dire, c’est qu’il est des vérités que la raison humaine peut d’elle-même découvrir et saluer dans sa liberté, c’est que s’il est des principes que le christianisme a donnés au monde comme des dogmes immuables, l’homme seul évidemment peut en régler l’application, et il ne peut le faire qu’avec les lumières de sa raison. C’est ainsi que M. l’abbé Mitraud nous semble parfois jeter plus de confusion que de clarté dans ces délicates et difficiles questions. Le but de tous les esprits élevés ne consiste point aujourd’hui à embarrasser de toute sorte de complications les problèmes qui pèsent sur les hommes de notre temps ; il consiste plutôt à rétablir les notions altérées, les vérités obscurcies, toutes ces lois simples et justes qui semblent avoir disparu dans la fantasmagorie des systèmes, en laissant les sociétés sans défense contre les excès les plus opposés.

Non sans doute, l’homme ne crée point les lois générales qui président au développement des sociétés, pas plus qu’il ne crée ces règles permanentes qui gouvernent les mondes, ou ces forces qui sont partout au sein de la nature ; mais ces lois, ces règles, ces forces, il les étudie, il les observe, il les fait tourner à son usage, et c’est le plus éminent témoignage de ce que peut encore Sun génie dans les limites qui lui sont tracées. Non-seulement le domaine de toutes ces sciences physiques et naturelles s’est agrandi singulièrement dans notre siècle par l’importance et la nouveauté des découvertes, mais il y a eu un fait plus caractéristique. De toutes parts, on s’est mis à rechercher les applications pratiques que pouvaient recevoir ces découvertes, et on est parvenu à asservir les élémens, à discipliner en quelque sorte les forces de la nature Jusqu’ici indomptées. De toutes parts aussi, il s’est élevé des talens pour populariser les sciences, pour divulguer leurs principes, leurs rapports, leurs applications infinies. — À quoi bon ? disait-on autrefois des sciences, comme le remarque un des plus ingénieux de ces talens. On ne le dira plus aujourd’hui après avoir vu les mathématiques, la chimie, la physique, la géologie, la minéralogie se mettre au service de l’homme, et traduire leurs théories en faits pratiques de tout genre. Qu’en résulte-t-il ? C’est que les sciences se mêlent partout à notre vie. Elles ont sans doute une existence propre ; mais, par un certain côté, elles ont un caractère tout usuel.