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le bon abbé d’Aubignac n’attachât pas à la création de la grande-maîtrise des théâtres quelque espérance personnelle ; c’est l’ordinaire des faiseurs de plans de s’y ménager toujours quelque place, comme les anciens peintres se mettaient volontiers eux-mêmes dans un coin de leurs tableaux), ce grand-maître des théâtres a toute sorte d’attributions importantes et diverses : il choisit les acteurs « et les oblige d’étudier la représentation des spectacles aussi bien que les récits et les expressions des sentimens, afin qu’on n’y voie rien que d’achevé ; » il lit les pièces des poètes déjà accrédités et il en examine l’honnêteté et la bienséance, le reste y demeurant au péril de leur réputation. Pour les nouveaux poètes, leurs pièces sont examinées par le grand-maître et réformées selon ses ordres[1]. » — Le grand-maître est également chargé « de trouver un lieu commode et spacieux pour dresser un théâtre selon les modèles qui seront donnés à l’exemple des anciens… Autour de ce théâtre seront bâties des maisons pour loger gratuitement les deux troupes de comédiens nécessaires à la ville de Paris. »

Je ne veux faire aucune comparaison malséante ; mais quand je vois ce projet de théâtre et même de phalanstère dramatique, si je puis ainsi dire, proposé par un abbé à un cardinal, il m’est impossible de ne pas penser qu’à cette époque, où la vie religieuse refleurissait dans les couvens par les réformes de quelques grands chefs d’ordre, l’idée d’imiter les institutions monastiques s’étendait à tout, même au théâtre, et que le bon abbé d’Aubignac se faisait en quelque sorte prieur d’une congrégation dramatique qu’il s’agissait de réformer.

Le goût public épura le théâtre mieux que ne l’aurait fait le grand-maître[2]. Cependant l’église continua à être sévère contre le théâtre. Nicole et Bossuet interdisent sans hésiter les spectacles et les déclarent dangereux pour les mœurs. La controverse soutenue sur ce sujet en 1666 par Nicole et en 1604 par Bossuet mérite une attention particulière.

En 1665, Desmarets de Saint-Sorlin, auteur des Visionnaires et du poème de Clovis, s’étant fait dévot, avait attaqué et calomnié les jansénistes. Cette manière de faire pénitence de ses péchés sur le dos des jansénistes donna aussitôt pour alliés à Desmarets tous les ennemis de Port-Royal ; mais comme les docteurs de Port-Royal étaient

  1. Projet du théâtre, à la suite de la Pratique, p. 355.
  2. Un de nos jeunes professeurs, M. Boissière, a montré tout récemment (Athenœum français du 24 juin) comment sous l’inspiration du goût public Corneille, dans les éditions successives de son théâtre, avait épuré son style. Cette collation des éditions de Corneille de 1633 à 1682, quoique faite seulement sur Mélite, est une excellente leçon de critique.