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l’accentuation alors mieux perçue, avait établi la suspension là où reposait l’accent principal du vers ? — Villon et l’art confus des vieux romanciers ! dit encore Boileau ; mais, quelque talent réel qu’eût Villon, on ne peut en aucune façon le placer pour la correction, l’élégance, la force, la poésie, à côté de Quesne de Béthune, du châtelain de Coucy, du roi de Navarre, trouvères du XIIe et du XIIIe siècle, dont les chansons méritent parfois d’être mises au même rang que les canzoni de Pétrarque.

Pendant qu’elle s’ensevelissait ainsi dans la poudre du sol national, la vieille poésie de France produisait un rejeton inattendu et merveilleux. L’Italie, comme bien d’autres pays, avait grandement goûté les compositions en langue d’oc et en langue d’oïl ; ses hommes les plus illustres, Dante, Pétrarque, Boccace, en font foi. Les récits du cycle carlovingien reçurent finalement chez elle droit de bourgeoisie, ayant pris la forme d’une compilation en prose connue sous le nom de I Reali di Francia. Le même attrait qui avait conduit les imaginations italiennes à conserver et à relire nos légendes poétiques conduisit des poètes à s’en emparer. Le Boiard donna l’exemple ; et finalement l’Arioste, suspendu entre le sérieux qui est empreint sur ces œuvres héroïques et la légère moquerie qu’elles provoquent chez un Italien du XVIe siècle, mit au jour ce poème si riche et si heureux qui a charmé et qui charme encore sa patrie et l’Europe. Alors de nouveau Charlemagne le héros légendaire, celui qui, éprouvant les grands revers et les grands succès, conquiert l’Espagne, l’Afrique et l’Orient avec ses preux Roland et Renaud, reparut sur la scène ; alors de nouveau la félone famille de Mayence, cette race de traîtres qui fait périr les douze pairs à Roncevaux et sème d’embûches les pas du grand empereur, recommença sa lutte éternelle ; alors de nouveau les guerriers sarrasins, avec leurs innombrables armées, inondèrent le sol du royaume. Ces noms oubliés retentirent dans le monde ; ces héros poudreux revinrent à la lumière, tout prêts, dans la nouvelle existence qu’une baguette magique leur communique, à ébranler encore la terre au galop de leurs chevaux, mais tout prêts aussi à partager le sourire du lecteur. Toujours est-il que le poème de l’Arioste ne serait pas si nos vieux poèmes n’avaient pas été. Dans la transformation singulière des choses, ils furent les matériaux sans lesquels une œuvre qui ne périra pas n’aurait pu être ni conçue ni exécutée.

Ce n’est pas pourtant que la parodie railleuse ait attendu jusqu’au XVIe siècle et jusqu’à l’Arioste pour se jouer des grands coups de lance et des héros fabuleux. L’esprit satirique inspirateur de tant de fabliaux et de cette singulière composition de Renard, où toute la féodalité est représentée sous des noms d’animaux, n’a pas vu ce sujet si près de lui sans y faire quelque incursion. Il y a dans le cycle carlovingien un héros très célèbre, personnage réel de l’histoire, puis