Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/676

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle y pensait le moins ; ce sera bien pis encore dans la guerre de la succession de Bavière. Catherine va mettre à profit la situation qu’on lui a faite. Voici le gouvernement de Saint-Pétersbourg investi désormais d’un protectorat sur l’Allemagne, et deux rois diversement illustres, Frédéric le Grand et Joseph II, seront tour à tour ses cliens. Quel spectacle de voir le hardi capitaine de Lissa et de Liegnitz appeler la Russie aux armes contre l’Autriche ! et si l’on regarde au fond des choses, quelle honte que ce traité de Teschen dont la Prusse se montra si joyeuse ! L’Autriche recule, la Prusse avance, mais pouvait-on ne pas voir quel était le vrai triomphateur ? Les diplomates russes jouaient déjà le premier rôle à Teschen, comme trente ans plus tard Alexandre et ses ministres au congrès de Vienne. L’art. 10 de ce traité contient cette phrase expressive : « Catherine II se porte garante de la constitution germanique et du traité de Westphalie. » Que de chemin parcouru depuis l’heure où Ivan IV décrétait pour ainsi dire la fraternité des fils d’Hermann et des fils de Rurik ! La diplomatie vient de prononcer le mot fatal qui pèsera longtemps sur les destinées de l’Allemagne ; le protectorat moscovite est officiellement proclamé ! Ce protectorat est si manifeste, que Joseph II en 1781, deux ans après le traité de Teschen, va trouver Catherine II en Russie, et s’efforce de la détacher de l’alliance prussienne. Ces compétitions indignes révolteront-elles enfin l’orgueil national de Frédéric ? Non ; le grand homme semble enchaîné par la politique dont il a le premier donné l’exemple ; il envoie son représentant à Saint-Pétersbourg pour disputer à l’empereur les bonnes grâces de la tsarine et de Potemkin. Et savez-vous quel ambassadeur il a choisi pour cette mission ? Son propre neveu, celui qui le remplacera sur le trône, le prince royal Frédéric-Guillaume. C’en est fait, la tradition est établie : C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière… Les flatteries de Voltaire à Catherine II sont désormais la seule épigraphe qui convienne à l’histoire des royautés allemandes.


III

Ce n’étaient pas seulement les souverains de l’Autriche et de la Prusse qui subissaient le protectorat de Catherine ; l’altière impératrice avait d’autres cliens en Allemagne. Attentif à suivre le travail intellectuel et politique de l’Europe, le gouvernement russe, surtout depuis Catherine II, a compris que les vives agitations de l’esprit public devaient lui fournir des instrumens ou des armes. On sait que la révolution française et l’immense ébranlement qu’elle produisit au loin suggérèrent à l’esprit moscovite une prétention inouïe : c’était la Russie, et la Russie toute seule, qui gardait en dépôt, pour le salut du monde, les principes de l’ordre social et le trésor des vérités religieuses ! Or, trente années avant que les événemens lui eussent