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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/679

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français, par les flatteries et les lettres de Catherine. Qu’un tel exemple en entraînât cent autres, cela se comprend sans peine. Catherine fut bientôt la maîtresse de l’opinion en Allemagne ; ici, c’était un disciple de Rousseau, un prétentieux réformateur de l’éducation, Basedow, qui recevait d’elle une forte somme d’argent pour réaliser ses plans ; là, c’était le généreux Forster, l’apôtre le plus sérieux des instincts démocratiques de son temps, qui proclamait aussi, comme Basedow et Schloezer, la supériorité de l’impératrice.

Parmi les hommes qui conduisirent, entre Lessing et Goethe, le mouvement des esprits, il y a certes une place brillante pour Zimmermann. Zimmermann était l’ami de Lavater et l’un des chefs de cette philanthropie sentimentale qui fut longtemps chez nos voisins la forme des innovations politiques. Catherine mit un soin particulier à faire la conquête de l’ami de Lavater. Zimmermann était médecin à Goettingue. En 1784, Catherine lui offrit la place de médecin en chef de la cour ; l’offre ne fut pas acceptée, mais une correspondance suivie s’établit dés lors entre l’impératrice et le célèbre écrivain. Peu de temps après, Catherine, ayant perdu son favori Lanskoi, en conçut une mélancolie profonde et chercha des consolations dans la retraite. Le livre de la Solitude, de Zimmermann, lui tomba entre les mains ; elle le lut avec un plaisir si vif, qu’elle redoubla d’instances auprès de l’auteur pour le décider à passer un ou deux mois à Saint-Pétersbourg. Il faut voir, dans les lettres de Zimmermann au docteur Hufnagel, avec quelle vanité béate le philosophe de la vie solitaire s’extasiait sur le génie de cette femme, « le plus grand génie, disait-il, et l’âme la plus noble qu’il y ait en Europe ! » O magnanimité ! Au milieu de tant de projets et d’affaires, elle daignait lui écrire sans cesse,

Tandis que Moustapha, caché dans son palais,
Bâille, n’a rien à faire et ne m’écrit jamais.


C’est Voltaire qui fait cette plaisante comparaison entre l’activité de Catherine II et l’indolence de Moustapha III. Il y a toujours, à travers les flagorneries du poète français, une veine de comique ironie où la dignité se retrouve. N’en demandez pas tant à Zimmermann. Ce qui distingue ses lettres sur Catherine, c’est l’orgueil puéril et l’importance boursouflée d’un bailli de village. Hier, l’impératrice lui a envoyé son portrait ; aujourd’hui, c’est de l’argent, sans compter les rubans et les croix ; demain, elle lui remettra en confidence ses projets, ses ébauches littéraires, une grammaire russe, des comédies françaises (l’une, entre autres, sur Cagliostro), avec des récits sur son voyage en Tauride et sur la guerre des Turcs. Je sais bien que nous n’avons pas le droit d’être trop sévères pour les publicistes de Goettingue. De tous les écrivains français qui s’occupèrent alors de