Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traverse les sociétés et que le génie de l’humanité s’y incarne. Justement parce qu’alors les combats, les invasions et les conquêtes ne firent pas le seul mouvement, la vieille poésie est née, et elle a sa signification. La mettre dans le rang qu’elle tint effectivement, c’est donner à la poésie moderne des racines antiques que l’ignorance lui avait follement coupées ; c’est montrer la puissance de création poétique que dans certains âge l’esprit possède à l’effet de s’adoucir et de s’épurer ; c’est mettre en regard la période héroïque de l’antiquité et la période héroïque du moyen âge ; c’est enfin signaler l’enchaînement des grandes compositions poétiques et les conditions qui y président.

De nos chansons de geste, de nos poèmes cycliques, beaucoup ont péri sans retour, mais beaucoup survivent encore et arrivent peu à peu à la publicité. Dans la comparaison de la vieille langue et de la nouvelle, comparaison intéressante à tous les points de vue, soit qu’on recherche l’étymologie, soit que l’on considère les mots et leur emploi, soit qu’on étudie les locutions, les tournures et les licences poétiques, les vers tiennent un rang considérable. Grâce à la mesure, à la césure, à la rime, on acquiert promptement des notions certaines sur la forme et l’articulation des anciens vocables qui, pour la plupart, sont devenus les nôtres. L’étude de la langue maternelle est une étude curieuse et utile, — curieuse pour tous, car tous sont initiés spontanément, — utile, car la langue est un instrument qui se détériore ou se perfectionne, et dont la culture importe notablement à la culture générale de l’esprit national. Ce sont deux choses connexes que l’esprit national et la langue nationale, influant perpétuellement l’une sur l’autre. Et à cet égard le service rendu par l’érudition n’est pas petit d’avoir exhumé nos vieux monumens, appelé sur eux l’attention, et prolongé ainsi de plusieurs siècles la tradition de notre idiome. Quiconque donnera quelque attention aux innombrables difficultés assaillant celui qui par le ou qui écrit en français remarquera que bien des choses qui paraissent fixées ne le sont pas, même dans l’orthographe et dans la prononciation, où de grandes incertitudes sont courantes. Quand on voudra remédier au désordre, retenir ce qui doit être retenu, rectifier ce qui est encore rectifiable, c’est à un système qu’il faudra recourir, système qui ne peut reposer que sur l’usage, la tradition, le raisonnement et les règles qui dérivent de ces trois sources.

La catastrophe qui a frappé la langue dans les XIVe et XVe siècles montre que le cours spontané des choses est capable d’amener des altérations profondes, et qu’une intervention correctrice est toujours nécessaire. De même que la main de l’homme protège incessamment contre l’invasion de l’herbe et de la forêt primitive les champs qu’elle