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les souffrances des chrétiens de Bosnie et se prêter à toutes les manœuvres de la diplomatie de Saint-Pétersbourg ; le Journal français de Francfort et la Gazette de la Croix peuvent persister à voir dans le tsar l’auguste représentant de l’ordre et le sauveur de l’Europe ; à la première chambre de Berlin, M. de Gerlach peut répéter ses éternels lieux-communs contre la France, et M. Stahl, habillant avec plus d’art des pensées de la même force, peut employer son incisive parole à signaler vers l’Occident des périls imaginaires, tandis que le danger véritable est au nord de la Prusse : leurs efforts, espérons-le, ne réussiront pas à endormir la conscience publique. Déjà le sentiment national se fait jour de toutes parts. À côté de ces journaux et de ces orateurs que je viens de nommer, il est plus d’une voix éloquente qui ne craint pas de montrer dans cette neutralité la déchéance de la patrie. Ici c’est M. de Vincke qui réfute les sophismes de M. Stahl et relève le drapeau de la Prusse ; là c’est le Journal de Cologne, c’est la Gazette universelle de Leipzig, c’est le Journal allemand de Francfort, c’est le Lloyd de Trieste, c’est le Lloyd, la Presse et le Wanderer de Vienne, c’est la Gazette de Voss et le Wochenblatt de Berlin, ce sont bien d’autres feuilles encore qui ne permettent plus à l’esprit allemand de conserver ses vieilles illusions sur la Russie Et combien de brochures venues du nord et du midi, du Rhin et de la Vistule, de la Baltique et des Alpes, les unes, je l’avoue, d’une forme peu littéraire, les autres rédigées par des plumes ingénieuses, et toutes animées de la plus patriotique ardeur ! Si ce n’est pas là un vrai mouvement national, il faut douter de toute chose.

Il est surtout un point qui me semble digne d’attention : la Russie cherche encore à exploiter ces souvenirs de 1813 qui tiennent si fort au cœur de l’Allemagne, et ses partisans rappellent sans cesse l’étroite union des deux peuples cimentée dans le sang de Leipsig : « Comment oublier, — disait récemment M. Stahl dans la discussion du crédit que demandait le ministère Wanteuffel, — comment oublier qu’en 1813 et en 1849 la Russie a apparu chez nous en libératrice avec sa colossale et bienfaisante grandeur ? » La diplomatie russe a toujours compté sur les rancunes qu’excite en Allemagne le nom du vainqueur de Wagram et d’Iéna ; quand la famille de Napoléon est remontée sur le trône, le tsar Nicolas a pensé que l’heure fatale était venue, et qu’il pouvait marcher sur Constantinople sans craindre l’opposition de la Prusse et de l’Autriche ; entre le frère d’Alexandre et le neveu de Napoléon l’Allemagne pouvait-elle hésiter ? L’empire a été rétabli en France au mois de décembre 1852 ; quelques mois après, le cortège du prince Menchikof entrait fastueusement dans le Bosphore. Eh bien ! cette coïncidence sera le début d’une transformation profonde dans l’histoire de l’Allemagne. Humiliés par la domination