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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/701

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actes (custos rotulorum), son fils Richard fut aussi dans son ressort un justicier respecté, mais un justicier d’épée, suivant la coutume des temps, si bien qu’une fois en poursuivant un malfaiteur fugitif, il fut assailli, lui second, dans le cimetière de Lanervil et se défendit vaillamment contre tous, lorsqu’un des assaillans se glissant par derrière lui déchargea sur la tête un si furieux coup, qu’il l’abattit le crâne brisé jusqu’à la cervelle. Quand le blessé revint à lui, il vit au loin fuir ses assaillans ; il se leva, marcha jusqu’à sa maison, s’y fit panser et guérir ; puis il appela en combat singulier le chef de famille qu’il regardait comme l’instigateur de ce guet-apens, mais son défi fut rejeté ; son ennemi se réfugia en Irlande et ne revint pas. Richard Herbert était d’ailleurs un homme assez instruit, il entendait le latin et savait l’histoire. Il eut de Magdeleine Newport, alliée des Talbots et des Devereux, sept fils et trois filles. L’aîné est notre héros. Avant d’en venir à lui-même, il parle de tous les siens, et, par un trait caractéristique, prend note surtout des combats singuliers où ses frères firent merveille. L’un emporta dans sa tombe, à Bergop-Zoom, les cicatrices de vingt blessures ; l’autre se défendit victorieusement en Danemark contre un adversaire avec un tronçon d’épée. Un troisième eut en France des duels éclalans. Thomas, le dernier, soldat de terre et de mer, guerroya dans l’Inde, en Afrique, en Flandre, et se retira mécontent de la cour. Les autres brillèrent par leur savoir ou se distinguèrent dans les ordres ; mais pour les doctes goûts comme pour l’humeur guerroyante, Édouard, lui, ne le cédait à aucun.

En sa qualité de philosophe, il insiste quelque peu sur les premiers développemens de son enfance. Dès qu’il commença de parler, il prétend que sa première question fut pour savoir comment il était venu en ce monde. Les femmes qui le soignaient se mirent à rire ; d’autres assistans s’étonnèrent, disant que jamais enfant n’avait fait pareille question. Sur quoi il ajoute une réflexion : puisque en naissant il a ignoré et les souffrances de sa mère et les siennes propres, il espère que son âme passera dans un monde meilleur sans avoir davantage connaissance des douleurs de la mort. Ce doit être une grâce de Dieu qu’on ne sache pas plus comment on sort de ce monde qu’on ne sait comment on y est entré. Deux pièces de vers latins, l’une sur cette vie, l’autre sur la vie céleste telle qu’il se l’imagine, De Vita cœlesti conjectura, expriment assez bien la même idée, et présentent quelque heureuse imitation du style de Lucrèce ; mais ce qu’il n’emprunte pas à Lucrèce, ce qu’il doit à lui-même, c’est une tranquille confiance et dans la certitude de l’autre vie, et dans la bonté du Dieu qui la promet à la vertu. Toutes les facultés de son âme lui paraissent disposées pour une existence supérieure qu’elles anticipent et qu’elles attestent à la fois.