Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/738

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est l’éducation civile et religieuse qui nous donne nos idées et nos croyances ; Herbert lui-même a tiré de cette source tout ce qu’il croit avoir trouvé dans la raison pure. Ces objections sont comme une anticipation de la philosophie de Locke. Aussi, lorsqu’il parut lui-même, ce sage qui mêla tant d’erreurs à tant de raison, il ne put, quoiqu’il eût dédié son grand ouvrage à un comte de Pembroke et de Montgomery, baron Herbert de Cardiff, il ne put, trouvant lord Herbert de Cherbury sur son chemin, s’empêcher de lui contester l’existence de ses principes innés, et il soumit à une analyse critique qui n’est pas sans force les sept principes nécessaires sur lesquels le système était édifié[1]. C’est d’ailleurs un contraste assez remarquable que Gassendi, ce disciple d’Aristote et d’Épicure en philosophie, et Locke, ce restaurateur de la philosophie des sensations, soient beaucoup plus retenus que le quasi-platonicien lord Herbert sur les questions théologiques, et défendent contre lui les dogmes avec des principes qui ne permettraient d’en établir aucun.

En résumé, laissant, de côté le rationalisme déiste qui, n’en déplaise à lord Herbert, n’est pus inséparable de sa doctrine, nous pensons que dans la philosophie pure il appartient à la cause du spiritualisme, c’est-à-dire à la bonne cause, et que si la philosophie dans la Grande-Bretagne relève de Bacon, il faut admettre que la méthode de l’observation a produit deux écoles, l’une qui dans l’âme humaine a subordonné tout à l’expérience et dont Hobbes est le représentant le plus violent, Locke le plus noble maître ; l’autre qui, par des méthodes plus ou moins analogues à celles de Descartes, a su trouver dans la raison des principes supérieurs à l’observation et à l’expérience elle-même. Lord Herbert est une des lumières de cette école. Nous placerons auprès de lui Cudworth et Clarke ; mais par sa confiance dans la nature humaine, par son optimisme intellectuel, le noble pair nous paraît surtout l’avant-coureur de lord Shaftesbury, et l’on peut dire que la foi de tous deux dans les principes de la raison a dû frayer la voie aux doctrines d’Hutcheson et des philosophes de l’Ecosse. Nous souscrivons très volontiers à ce jugement de M. Hallam : « Lord Herbert peut être considéré comme le premier métaphysicien qu’ait eu l’Angleterre. » Et nous ajouterons avec le plus grand métaphysicien qu’elle possède aujourd’hui, sir William Hamilton : « Il est en vérité surprenant que les spéculations d’un penseur aussi habile et aussi original, et d’un homme si remarquable d’ailleurs, aient échappé à l’observation de ceux qui ont après lui, dans la Grande-Bretagne, philosophé dans le même esprit. »


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Essay, liv. Ier, ch. 3 § 15. — Locke’s Works, t.1er, Londres, 10 vol. in-4o, 1801.