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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/764

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remboursables. La dette flottante, sous cette triple forme, approche donc de 5 milliards de notre monnaie. Si l’on veut mesurer la portée d’un pareil engagement, il suffit de se rappeler que, pour faire honneur à une lettre de change de 5 milliards, il y aurait à peine, en mettant à contribution l’Europe, l’Amérique et l’Asie, assez d’or et d’argent monnayés dans le monde.

Comment une situation aussi critique a-t-elle pu se prolonger, même à la faveur de la prospérité nationale et de la paix ? Voilà ce qu’il est difficile de comprendre. Nous avons vu, pour des folies moins gigantesques, sombrer dans les deux hémisphères le crédit de plusieurs états qui n’avaient pas des ressources inférieures à celles de la Russie ; mais la guerre, en tout cas, va faire cesser les incertitudes. Les côtés faibles d’un système financier ne se laissent jamais plus clairement apercevoir que dans les momens de crise, à la lumière sinistre de l’émeute ou au bruit du canon. Si le gouvernement provisoire en France, après les journées de février, en présence d’une dette flottante qui ne s’élevait pas à 1 milliard y compris les fonds versés au trésor par les caisses d’épargne, et dont 600 millions seulement étaient exigibles, se trouva conduit à une suspension temporaire de paiemens, et s’il fallut l’énergique loyauté du comité des finances devant l’assemblée constituante pour obliger les maîtres du pouvoir à rembourser les capitaux que l’état avait reçus et employés avec la seule monnaie dont l’état pût alors disposer, c’est-à-dire en rentes, que va devenir le gouvernement russe en présence d’une dette flottante cinq ou six fois plus forte, pressé par la double nécessité de faire face aux remboursemens exigés par ses innombrables créanciers à vue, et d’improviser les centaines de millions que la guerre doit consommer ?

L’empire moscovite a été mis, à juste titre, hors la loi du crédit européen. À l’intérieur, le gouvernement a trop emprunté pour qu’il lui soit possible d’emprunter encore ; le trésor public a littéralement absorbé toute la richesse mobilière du pays. On n’a plus rien à lui donner ni à lui prêter, parce qu’il avait tout reçu ou pris à l’avance. Et quand son crédit chancellera, dans l’opinion des Russes eux-mêmes, ce sera comme un tremblement de terre dans lequel toutes les fortunes seront englouties.

Laissons le gouvernement russe s’arranger avec ses créanciers de l’intérieur comme il pourra pour la liquidation du passé, et parlons des besoins de la guerre. Si l’empereur ne cède pas, si la Russie continue de braver l’Europe occidentale, il faudra qu’après avoir dépensé en 1854 la valeur de deux budgets, elle trouve, comme nous croyons l’avoir démontré, en dehors de ses ressources ordinaires,