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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/785

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d’un style plus ou moins religieux, venaient reposer l’oreille de la continuité des mêmes effets et suspendre agréablement l’action du drame liturgique. Aux grandes solennités, à la fête patronale de l’institution ou de tout autre saint personnage, on exécutait des oratorios dont le libretto, imprimé avec luxe et contenant le nom des élèves les plus remarquables, était distribué gratuitement à la porte de l’église. C’est ainsi qu’en 1677 eut lieu à l’hôpital degl’ ’ Incurabili l’exécution d’une scène dramatique de ce genre pour la commémoration de saint. François Saverio, qui avait fait son noviciat dans ce pieux asile. Cet usage, qui était dans le goût de la renaissance et conforme d’ailleurs à l’esprit du catholicisme, s’est perpétué jusqu’aux derniers jours du XVIIIe siècle.

Dans les grandes cérémonies de l’état, ou lorsqu’il arrivait à Venise un personnage illustre que la république avait intérêt à bien recevoir, on faisait un choix parmi les élèves de chaque établissement, et sous la direction d’un chef désigné on exécutait avec pompe quelque grande composition, Bertoni, maître de chapelle aux Mendicanti, fut chargé de composer une cantate qui fut chantée au palais Rezzonico, devant l’empereur Joseph II, par cent jeunes filles, dont chaque école avait fourni son contingent. Le doge, les procurateurs de Saint-Marc qui avaient la surveillance de ces écoles, les nobles et les riches citadins qui en étaient les administrateurs, faisaient venir souvent dans leurs palais de Venise, et même dans leurs villas, quelques-unes de ces jeunes filles pour contribuer à l’éclat de leurs fêtes particulières. Avec une faible rétribution, dont une partie servait à leur établissement dans le monde, on organisait assez facilement un concert composé des élèves les plus habiles de l’une de ces institutions ; elles étaient accompagnées alors d’une maîtresse d’un âge respectable qui dirigeait l’exécution. C’était un spectacle assez curieux que de voir dans un salon ou dans un beau jardin, sur les bords de la Brenta, dix à douze jeunes filles, les unes chantant des duos, des trios, les autres jouant d’un instrument et formant un petit orchestre. Il était défendu par les statuts qu’aucun homme, excepté le maître qui enseignait les élèves, pénétrât dans l’intérieur de ces établissemens ; mais il en était de cette règle comme de beaucoup d’autres : on l’éludait facilement avec des protections. Rousseau fut admis à visiter la Scuola de’ Mendicanti, et il nous raconte dans ses Confessions quelle fut sa surprise en voyant de près la figure de ces sirènes dont la voix harmonieuse l’avait tant ému, lorsqu’il les entendit pour la première fois dans l’église du couvent. Son imagination s’était formé de plusieurs de ces pauvres orphelines un idéal de grâce et de beauté qui fut dissipé par la réalité. Trente ans après Rousseau, en 1770, Burney eut aussi la permission de visiter