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vive et inattendue. Or c’est là, si je ne m’abuse, un écueil très dangereux. Pour allécher la curiosité, l’historien se laisse parfois entraîner à des révélations qui ne réunissent pas toujours des élémens irrécusables d’authenticité. M. de Lamartine, je dois l’avouer, n’a pas évité ce périlleux écueil. Malgré la défiance officielle derrière laquelle il se retranche, il est trop facile de voir qu’il se complaît dans ces révélations sans preuves, sans garanties : il a beau parler des devoirs austères et de la majesté de l’histoire, les esprits les moins clairvoyans devinent sans effort qu’il préfère Suétone à Tacite. C’est une prédilection que je comprends, mais que je n’excuse pas ; car si Suétone fournit à l’histoire des documens précieux, qu’il faut pourtant discuter sévèrement avant de les admettre, il ne peut prétendre au titre d’historien. C’est un point sur lequel je n’ai pas besoin d’insister. Tous ceux qui connaissent la biographie des Césars me comprendront à demi-mot.

M. de Lamartine ne s’est pas contenté de faire à M. Vaulabelle et à M. Lubis de nombreux emprunts ; lorsqu’il ne met pas à contribution leur témoignage, il substitue au récit, à l’interprétation personnelle des faits, des citations tirées du Moniteur. C’est là sans doute un procédé fort commode, mais que l’histoire proprement dite ne saurait accepter. L’emploi des ciseaux, si habile et si ingénieux qu’il soit, ne remplacera jamais l’exercice de la pensée. C’est bien la peine vraiment d’occuper dans son pays un des premiers rangs, d’avoir conquis à son nom une légitime, une immense popularité, pour descendre au rôle de compilateur. Une telle besogne est au-dessous de l’homme éminent, du poète justement admiré qui a signé les Méditations, les Harmonies et Jocelyn. Il faut laisser ce travail de manœuvre aux hommes inconnus qui luttent péniblement contre le besoin de chaque jour, et qui n’ont pas de nom à compromettre. Quand on a pris place parmi les noms les plus illustres d’un pays tel que la France, on se doit à soi-même de s’imposer d’autres conditions. Il ne suffit pas, il ne suffira jamais de découper le Moniteur pour s’arroger le titre d’historien, On aura beau retourner dans tous les sens les paroles de Quintilien, si maladroitement interprétées par des compilateurs : on n’arrivera jamais à prouver que la transcription littérale des documens puisse remplacer le travail de l’histoire.

Et plût à Dieu que cette négligence, si condamnable d’ailleurs, fût la seule que j’eusse à reprocher à M. de Lamartine. Hélas ! je suis bien forcé d’aller plus loin dans la voie des reproches. Quand il ne copie pas M. Vaulabelle, M. Lubis ou le Moniteur, il s’abandonne à d’étranges fantaisies. Il parle avec une joie évidente, avec un bonheur qui frappe tous les yeux, des hommes qu’il n’a jamais connus ni