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Après avoir essayé avec le conseiller d’état Nicolas Tourguénief de fonder une société secrète dite des Chevaliers russes, le général était entré en 1820 dans l’affiliation du Bien public, qui sous des vues philanthropiques cachait des tendances révolutionnaires. Au mois de février 1821, cette société fut déclarée dissoute. Si Michel Orlof avait échappé à la Sibérie, il le devait à son frère, accouru le premier, avec les gardes à cheval, au secours du Palais-d’Hiver le 14 décembre 1825, et en qui le tsar Nicolas avait une grande confiance. Après avoir été relégué dans ses terres, le général avait obtenu l’autorisation d’habiter Moscou. Pendant son séjour forcé à la campagne, il s’était adonné à la chimie et à l’économie politique. Cet homme, dont les dehors annonçaient une nature d’élite, avait été conduit à chercher dans des entreprises industrielles une distraction insuffisante pour combattre l’ennui qui l’accablait. « Les efforts qu’il faisait pour se transformer en homme de science, dit M. Hertzen, m’inspiraient une pitié profonde. Il avait un esprit lucide et brillant, mais nullement spéculatif, et c’est pourquoi il s’égarait au milieu des nouveaux systèmes auxquels il soumettait des matières depuis longtemps approfondies. Les questions abstraites n’étaient décidément point de sa compétence, et néanmoins il se livrait à des études de métaphysique avec un acharnement extrême. Fort peu mesuré de son naturel, il commettait sans cesse des imprudences ; il se laissait entraîner par les premiers mouvemens de son cœur chevaleresque, et, se rappelant bientôt la prudence que lui commandait sa position, il tournait bride à moitié chemin ; mais ces contremarches diplomatiques lui réussissaient encore moins que ses sorties métaphysiques et ses essais de nomenclatures : il s’embarrassait de plus en plus dans les liens dont il cherchait à se dégager. On le lui reprochait ; la plupart des hommes sont si inconséquens et superficiels, qu’ils apprécient moins les actes que les paroles, et donnent plus d’importance à des fautes de détail qu’à l’ensemble du caractère. Ne nous plaçons pas à un point de vue si étroit et n’apportons pas dans nos jugemens la rigidité d’un Régulus. Ce qu’il faut surtout déplorer, c’est le triste milieu au sein duquel vivait Orlof, et où tout sentiment noble, étant considéré comme de contrebande, ne peut se produire qu’en secret, à la dérobée. À peine a-t-on laissé échapper un mot à haute voix en Russie, que tout le reste du jour il faut s’attendre à voir arriver la police…

« Les convives étaient nombreux. J’étais assis à côté du général Raïevski, frère de la femme d’Orlof, et qui était aussi en disgrâce depuis le 14 décembre. Fils du célèbre N. Raïevski, il était avec son frère cadet sur le champ de bataille de Borodino, à côté de son père ; il est mort depuis au Caucase de ses blessures. Je lui racontai l’arrestation de N…, lui demandant s’il croyait qu’Orlof voulût tenter