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Kasan n’était cependant pas le terme du voyage. Il fallait gagner Perm, et quand M. Hertzen fut dans cette ville, un nouveau déplacement lui fut imposé. Pour faciliter le séjour d’un autre condamné à Perm, on relégua l’étudiant exilé dans une ville plus lointaine, à Viatka. M. Hertzen arriva en trois jours dans cette triste résidence, après avoir traversé une contrée peuplée de Votiaks, de Mordvins, de Tcheremisses[1]. Avec le séjour à Viatka commence la dernière et la plus intéressante partie du livre, celle où la Russie se montre à nous sous cet aspect oriental qu’elle doit à l’invasion tatare, et qui commence à se perdre dans les provinces centrales de l’empire. C’est à l’Orient qu’on pense en effet devant certains fonctionnaires, par exemple devant ce gouverneur de Viatka, Tioufaïef, sous les ordres duquel M. Hertzen est appelé à servir.

« C’est au centre de la Sibérie, à Tobolsk, que Tioufaïef était né. On prétend que son père y avait été déporté ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il était de la classe des bourgeois et très pauvre. À l’âge de treize ans environ, le jeune Tioufaïef s’enrôla dans une troupe de ces acrobates ambulans qui courent les foires. Il se transporta ainsi de Tobolsk dans les provinces polonaises, en recueillant sur son passage les rires et les applaudissemens populaires ; mais dans ce dernier pays il fut arrêté je ne sais pourquoi, et comme il n’avait point de papiers, on le dirigea de nouveau sur Tobolsk avec un convoi de condamnés. Son père venait de mourir et sa mère était tombée dans un tel état de dénûment, qu’il fut obligé de réparer de ses mains le four de la maison qu’elle habitait. Comme il n’avait point de profession, il apprit à écrire, et trouva bientôt à copier des rôles. Cette occupation l’ayant mis en rapport avec des employés, il en profita pour se familiariser avec les affaires, et comme son esprit naturellement délié s’était singulièrement formé dans l’existence vagabonde qu’il avait menée jusqu’alors, il ne tarda point à devenir fort entendu. « Au commencement du règne d’Alexandre, un inspecteur fut envoyé à Tobolsk. Il eut besoin de bons expéditionnaires ; on lui recommanda le jeune Tioufaïef, et il fut tellement satisfait de ses services, qu’il lui proposa de l’accompagner à Pétersbourg. Dès ce moment. Tioufaïef, qui n’avait eu d’autre ambition jusque-là que d’obtenir une place de secrétaire dans quelque tribunal de district, commença à se croire digne d’un meilleur sort, et résolut de mettre tout en œuvre pour faire son chemin. Cette détermination fut assez promptement couronnée de succès. Dix ans après, on le retrouve secrétaire intime

  1. Les peuples qui habitent ces contrées avec les Russes sont les Syrianes, les Permiens, les Votiaks et les Besurmanes ; ils sont classés parmi les tribus d’origine finno-tatare, et forment ensemble 314,484 individus, il faut y joindre les Tcheremisses, les Mordvins et les Tchuvaches ; ceux-ci sont au nombre de 1,075,069 et se rapprochent davantage des Tatares.