Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la méritent par leur éloquence, Un grand nombre de ces lettres se sont produites dans le public ; un plus grand nombre encore sont, à ce qu’il paraît, dans les mains des curieux. Si le sage pèche sept fois par jour, le stoïcien ne saurait être à l’abri de cette loi ; mais il n’y a pas de stoïcisme qui ne soit amoindri par des faiblesses trop fréquentes. Le caractère même du patriote en est diminué : bien que la vie privée n’intéresse qu’indirectement la gloire du citoyen, cependant l’on ne peut voir sans tristesse un personnage comme Foscolo, appartenant par son talent et par sa renommée à sa patrie, s’embarrasser à plaisir dans des intrigues amoureuses toujours nouvelles, passer son temps à faire et à oublier des sermens, descendre à chaque instant au rôle mesquin de coureur de ruelles et de boudoirs, mener de front plusieurs passions, s’excuser pitoyablement auprès des unes et des autres, remplir ses lettres, occuper ses amis, l’Italie tout entière du bruit de ses faiblesses, et ne conserver au milieu de tant de folies que le mérite de les avouer avec une naïve franchise. Quelle légèreté, quelle petitesse prosaïque se glisse quelquefois dans ces amours si poétiquement habillées et travesties ! « La Quirina, dit-il à un ami, vous salue et vous resalue ; elle m’accuse de peu d’amitié parce que je ne sais pas lui mentir et lui répondre que je vous écris et que vous la saluez. Je lui fais réparation ; elle n’est pas avare comme je l’ai cru ; elle est même fort généreuse entre toutes les femmes, et me fait cadeau de perdrix, de bécasses, de panforte[1] et de plusieurs flacons de vin de Montalcino, dont je me fais honneur avec les personnes qui me viennent voir. »

Et cependant cette Quirina, dont il eut les bonnes grâces pendant deux semaines, fut toujours pour lui la plus dévouée des amies ; non-seulement elle lui pardonna de l’avoir quittée, mais elle ne l’oublia jamais dans l’exil ; elle fut sa providence et sa ressource dernière ; elle payait ses créanciers et souvent s’en cachait ; pour lui faire accepter de l’argent, elle prétendait que les livres de Foscolo étaient vendus, et elle lui fit passer le produit de cette vente simulée, gardant les livres en Italie jusqu’à ce qu’ils fussent vendus réellement plus tard au profit de leur maître exilé. Dans les momens même où Foscolo attirait sur lui les regards de l’Italie et de l’Europe par des actes de courage dignes des temps antiques, il compromettait son nom dans des intrigues trop au-dessous des pensées d’un grand citoyen.

Prenons-le par exemple en Suisse après la chute de Napoléon et du royaume d’Italie, lorsque ayant refusé de prêter serment aux Autrichiens, il a brisé son épée, déposé ses épaulettes de chef d’escadron,

  1. Espèce de gâteau.