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sur l’esprit de la foule, la nature même de la langue, qui est littéraire et savante, langue écrite plutôt que parlée, les empêche d’être compris de la masse ; la presse même se ressent de cet état de choses, et il n’est pas de pays où les journaux exercent si peu d’empire sur les classes inférieures de la société. Mais si les hommes de lettres ne peuvent rien par eux-mêmes sur les sentimens de la multitude, ils sont écoutés par la population plus instruite ; ils pourraient même diriger l’opinion le jour où ils auraient le droit de se faire entendre. L’Autriche, même celle de Léopold et de Joseph, les écartait soigneusement des affaires ; des titres et des pensions étaient proposés à leur ambition ; on les faisait conseillers auliques ou poètes césaréens. Moyennant ces récompenses, ils étaient encouragés à perpétuer l’oisiveté littéraire et le désœuvrement artistique ; c’était une classe de petits mandarins préposés au département des plaisirs intellectuels ; tout au plus chargeait-on un poète, Parini par exemple, de rédiger un journal privilégié. Le régime français fut beaucoup plus libéral : on vit des hommes de lettres dans les conseils du gouvernement, et des doctes siégèrent au sénat. Quand les Autrichiens furent rentrés dans Milan, les lettres durent quitter la place qu’on leur avait laissée sur la scène, et se retirer à l’ombre des académies. En perdant les positions officielles, elles comprirent qu’elles étaient invitées à reprendre leur ancien rôle de divertir innocemment et d’amuser sans péril. Pourtant les lettres ne donnent, pas du jour au lendemain leur démission : les doctes hésitèrent ; les uns regrettaient le passé, les autres les fausses espérances qu’ils s’étaient forgées. Le gouvernement jeta les yeux sur Foscolo pour tourner la difficulté et vaincre par des moyens doux cette résistance dont il prévoyait les dangers.

Ces vues particulières du cabinet sur l’ancien professeur d’éloquence de Pavie furent la source des calomnies dont Foscolo fut accablé jusque dans l’exil. On lui pardonnait à peine de s’être tenu à l’écart, autant qu’il était possible, sous le régime napoléonien ; il avait irrité par ses mépris tous ceux qui étaient en possession des faveurs. Maintenant que la Lombardie redevenait province autrichienne, et que l’indépendance italienne n’était plus qu’une illusion perdue, comment l’auteur du Discours à Bonaparte pouvait-il se rapprocher de l’Autriche, et le républicain mécontent sous le royaume d’Italie se déclarer satisfait sous un gouverneur envoyé de Vienne ? Non-seulement les littérateurs de Milan l’accusaient d’une voix unanime, ceux même de Florence commençaient à s’en défier. Niccolini, l’un des rares amis de Foscolo qui survivent encore, disait plus tard que longtemps après 1815 il avait conservé des défiances contre lui. Pecchio, son premier biographe, et d’autres après lui, ont reproché à Foscolo sa versatilité politique. Aujourd’hui la vérité s’est fait jour. Quand on