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l’avait fait entrer dans les mœurs. C’était une taxe de guerre accommodée à une époque de paix. Les résultats ont dépassé les espérances. Pour ne parler que du revenu de l’état, le gouvernement a pu solennellement fermer l’ère du déficit. Depuis cette époque, les recettes du trésor ont constamment excédé ses dépenses : chaque année, le parlement britannique, la seule assemblée que l’on ait mise à cette épreuve en Europe, a eu à délibérer sur l’emploi d’un excédant qui variait entre 2 et 3 millions sterling. Chaque année, il a pu consacrer cette somme soit à des remises d’impôt[1], soit à l’amortissement de la dette publique. À l’ouverture de l’exercice 1854, et au moment où les armées de l’Occident ont dû passer du pied de paix au pied de guerre, l’échiquier anglais avait en réserve une provision claire et nette de 70 à 75 millions de francs.

L’Angleterre n’avait contre elle, à la veille du combat, que les hésitations de sa politique. Ce gouvernement, qui n’avait d’abord vu dans l’ambassade du prince Menchikof que la querelle des lieux-saints à vider, qui s’inquiétait du prosélytisme religieux de la France quand il aurait fallu surveiller et contenir l’ambition de la Russie, qui parlait encore de la loyauté du cabinet de Pétersbourg au moment où il en recevait les ouvertures les plus compromettantes, et qui a voulu attendre que les Russes eussent franchi le Pruth pour envoyer sa flotte dans le Bosphore, n’a pas montré d’abord un coup d’œil plus sûr ni une résolution plus ferme dans ses arrangemens financiers. On eût dit que le mot même de guerre lui coûtait à prononcer ; il parlait d’une expédition en Orient comme d’une promenade militaire. Plus l’opinion publique le pressait, allant au-devant de tous les sacrifices, et moins il se hâtait de les accepter. Les rôles étaient intervertis : c’était le parlement qui offrait l’argent que les ministres auraient dû demander. Le chancelier de l’échiquier, avec une réserve qui faisait plus d’honneur à sa modération qu’à sa prévoyance, présentait à la dernière heure un budget extraordinaire qui se bornait à pourvoir aux besoins des six premiers mois. Le gouvernement semblait croire que le pavillon britannique n’avait, pour rétablir la paix, qu’à se déployer par-delà le Sund et le Bosphore.

Dans l’exposé qu’il fit, le 7 mars dernier, à la chambre des communes, M. Gladstone estimait à 4,307,000 liv. st. (107,675,000 fr.) les dépenses extraordinaires que l’état de guerre pouvait entraîner pour la Grande-Bretagne, du 5 avril 1854 au 5 avril 1855 ; mais, grâce à l’excédant de recettes qu’avait légué l’exercice de 1853, l’on n’avait à pourvoir, au moyen de ressources extraordinaires, qu’à un

  1. le produit des taxes supprimées ou réduites depuis l’année 1842 jusques et y compris l’année 1850 s’élevait à 10,763,000 liv. sterl. (269,075,000 fr.).