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L’état, sous une forme ou sous une autre, ne doit demander de l’argent qu’à ceux qui en ont et dans la mesure de leurs ressources. Le revenu de la nation est diminué et périclite : adressons-nous aux détenteurs du capital disponible ; cherchons, pendant les temps difficiles, non pas des contribuables, mais des prêteurs. »

Si le gouvernement avait tenu ce langage, il n’aurait pas trouvé de contradicteurs ; mais, au lieu de faire valoir des motifs d’humanité, on a mis en avant des convenances de trésorerie qui ne sont rien moins qu’évidentes. L’emprunt, dans les conditions où il a été ouvert, ne pourvoit pas mieux que l’impôt « aux supplémens de défense larges et prompts que nécessite la transition de l’état de paix à l’état de guerre ; » les versemens en effet doivent s’opérer par quinzième et de mois en mois, ce qui ne donne pas d’avantage sur l’impôt, dont les rentrées s’opèrent par douzième et dans l’année. Ajoutons que les dépenses de l’état se fractionnant également par échéances mensuelles, ce qui importait, c’était d’obtenir la certitude plutôt que la disposition immédiate ou à bref délai d’une réserve considérable. L’impôt eût pourvu à cette nécessité aussi bien que l’emprunt et, en tout cas, concurremment avec l’emprunt.

On a dit encore, au nom du gouvernement, qu’il ne fallait pas « faire peser sur le présent ce qui devait être la charge de l’avenir. » C’est la théorie opposée à celle de M. Gladstone. Par un contraste bien étrange, pendant que le gouvernement britannique soutient que les charges de la guerre regardent le temps présent et doivent être exclusivement supportées par les contribuables, le pouvoir en France revendique un privilège d’exemption en faveur de la génération actuelle, et, au risque de fatiguer le crédit par des appels sans terme, rejette le fardeau sur les générations futures, alléguant que c’est bien assez pour nous des souffrances de la guerre, et que les dépenses en doivent être prises sur les prospérités de la paix. La vérité se place entre ces deux prétentions également arbitraires.

Il faut bien reconnaître aux pouvoirs publics le droit d’engager l’avenir, puisqu’ils doivent, comme de bons pères de famille, travailler pour la postérité et transmettre l’héritage agrandi à leurs successeurs. D’ailleurs la limite qui sépare l’avenir du présent est rarement appréciable : « Le moment où je parle est déjà loin de moi. » Pour un gouvernement prévoyant, l’intérêt de l’avenir et celui du présent se confondent. Du reste, la postérité n’ayant pas voix au chapitre, c’est une obligation étroite pour le pouvoir de ne lui renvoyer que les charges que la génération militante ne se trouve pas en état de porter. Entre le présent et l’avenir, la nécessité est le seul arbitre que l’on accepte. Refusez aux gouvernemens le droit d’hypothéquer « sur les prospérités de la paix » les charges de la guerre, et à l’instant la dette publique n’a plus de base ; vous paralysez,