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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/982

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être plus cruels que les autres, mais il y avait dans leur cruauté quelque chose de particulièrement haineux : ils combattaient comme poussés par la vengeance contre une race étrangère et ennemie. Les Bourguignons, eux, étaient gens du nord. De plus leur chef paraissait moins un seigneur féodal que le protecteur d’une confédération des villes marchandes de Flandre et d’Artois. Il venait de faire avec les propres villes de ses domaines des espèces de traités, comme si elles eussent été villes libres. Il leur promettait mille privilèges commerciaux. Du reste il se montrait complètement docile aux observations que les grosses cités de Flandre lui faisaient, assez brutalement parfois, sur sa conduite politique. Enfin il paraissait mettre tous ses soins à desserrer le lien féodal au profit de l’indépendance communale. Sa chancellerie elle-même, les lettres qu’il écrivait, avaient cette bonne et empesée tournure de bourgeoisie importante et parvenue. C’était vraiment le chef qui convenait à la vanité comme aux intérêts de la commune rémoise, et le duc de Bourgogne avait admirablement exploité, — en même temps que cette vanité, — les préjugés, les aveugles crédulités de la petite bourgeoisie et du populaire.

En somme, Philippe avait conquis cette position que son père avait tant ambitionnée et dont son aïeul avait si hardiment jeté les fondemens ; il était parvenu à ce but qui paraît avoir été l’objet de la politique équivoque et mystérieuse de la maison de Bourgogne : il allait pouvoir monter au trône avec l’aide de la bourgeoisie. Les esprits sages de ce temps devaient en effet prévoir que telle serait, d’après la logique des choses humaines, la fin des troubles : la France brisée en deux, le midi restant au roi d’Angleterre après une lutte infinie, et le nord sagement gouverné par un roi bourgeois, Philippe de Bourgogne, qui ne serait guère que le protecteur d’une foule de petites républiques municipales retenues par un lien de fédération. On ne pouvait en effet compter sur le miracle par lequel Dieu allait sauver l’intégrité de la France et la monarchie. Il faut reconnaître du reste que ce duc était de toute sa race, le moins capable de mener à fin les projets d’une si haute ambition. C’était un homme faible et irrésolu, plus amoureux de la pompe et de l’apparence de l’autorité que de l’autorité elle-même. Aussi s’amusa-t-il aux fêtes et réceptions, aux noëls du populaire, aux conseils donnés à la bourgeoisie, plutôt qu’il ne pensa résolument à prendre la couronne, malgré ses propres velléités, les conseils des seigneurs wallons et les traditions de sa famille. C’était bien, après tout, ce mélange de qualités et de défauts qui le rendait si agréable aux bourgeois, et particulièrement aux bourgeois de Reims. Ses manières courtoises et débonnaires nattaient leurs vanités, sa faiblesse n’arrêtait pas leurs empiètemens et leur permettait de continuer ce mouvement vers l’indépendance absolue qu’ils avaient commencé depuis les troubles. La guerre les avait laissés seuls dans la ville ; la féodalité, qui en était sortie pour se battre en pleine campagne, tendait à devenir ce qu’est en effet devenue la noblesse française, une force purement militaire sans influence politique ou civile. Eux au contraire avaient fait de leur ville une sorte de république, avons-nous dit, ayant son gouvernement propre, sa volonté particulière et une centralisation complète. Chaque chef de parti, pour les attirera soi, leur écrivait avec toutes sortes de gracieusetés et de promesses. Et la cité rémoise