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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/993

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disait-on pas en toute province : Il est sage et bon clerc, car il a longtemps étudié à Paris ? – Donc

Il alla gaudir à Paris,
Et hanta tous legiers esprits,
Joyeux enfans de plaisance.

C’était là dans une certaine mesure la prophétie de son avenir. Il entra dans cet amoureux vergier en marmousant ses rêves d’or comme parle Eustache Deschamps, et en chantant la ronde des jeunes fringantes de Jérusalem :

Hé ! vogue la galée !
Donnez-lui du vent ;
Hé ! vogue la galée,
Nuit et jour sans cesser !

Il n’eut pas sans doute de peine à payer sa bien-venue, qui ne se montait qu’à 20 sols, puisqu’il n’était ni noble ni pourvu de bénéfices, et à prouver qu’il ne méritait guère cette qualification de brute et d’imbécile que les dictons de l’Université donnaient à ceux de sa nation. Il était là libre comme l’émerillon sauvage ; il n’avait pas pour bandeaux à son imagination ces murs épais que maudissait Villon, et il pouvait dès maintenant préparer en quelque sorte son avenir en choisissant ses compagnons.

Coquillart rencontrait en effet dans l’élite de ses camarades les trois sortes d’écoliers qui allaient, à des titres divers, dominer la littérature du siècle. Les uns, graves et pieux, studieux et savans, allaient recevoir quelque bénéfice, récompense de ces longs labeurs théologiques qui les retenaient aux écoles jusqu’au seuil de l’âge mûr ; puis dans les canonicats, les monastères ou à la cour des princes, ils allaient, comme les Molinet, les Crestin, les Martial d’Auvergne, les Lemaire de Belges et les Martin Franc, composer les chroniques, traduire les auteurs latins, inventer les longs poèmes allégoriques. En somme, après avoir fort ennuyeusement fait manœuvrer pendant un siècle dame Vénus et Cupidon son garçonnet, après avoir pendant ce même temps fort laborieusement écorché la peau de ce pauvre latin, ils devaient livrer la langue et l’esprit français aux poétiques expériences de la renaissance. Les autres, esprits vifs et hardis, moitié laborieux, moitié amis du plaisir, mais ennemis de la débauche, devaient retourner dans leurs villes natales. Là, gens de loi, fonctionnaires de la commune ou grands bourgeois, ils iraient, en s’inspirant du génie de leur province, réveiller quelques échos de la littérature du moyen âge ; ils réciteraient dans les réunions joyeuses les ballades gaillardes ou les rondeaux satiriques, les complaintes grivoises ou les chansons équivoques, et célébreraient ainsi les scandales et commérages de la cité. La troisième classe se composait de pauvres hères qui avaient apporté à l’Université le prix de quelque bon lopin de terre gagné à grand’peine par la charrue paternelle, maintenant traîneurs de coutelas et orateurs de tavernes. Ceux-là se trouvaient destinés à devenir les poètes de la Cour des Miracles, à traîner par toute la France les plus mauvaises traditions des vieux jongleurs, à égayer les enfans perdus, les truands, les tire-laine, en leur chantant la chanson du Pauvre Écolier :