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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/996

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Où estes-vous, les tabourins,
Les doulcines et les rebecz
Que nous avions tous les matins
Entre nous aultres mignonnetz ?


Il ne paraît pas que ni le siècle, ni les écoliers, ni Coquillart fussent fort enthousiasmés d’amour platonique ; il passait bien vingt fois par jour dans la rue où demeurait sa dame, mais c’était moins pour saluer langoureusement ses fenêtres, adorer la porte et baiser en grande détresse la cliquette de l’huis que pour montrer ses beaux habits. Aussi, quand il rencontrait ses joyeux compagnons : — Bona dies soit aux mignons ! — Où allez-vous ? D’où venez-vous ? — Peut-être revenaient-ils de quelque honnête festin, mais à coup sûr ils se trouvaient sur la route de quelque amoureux banquet. Qu’y pouvait-on faire, sinon danser ? et le diable sait si l’on se faisait fête de mener sauter ces commères de si facile humeur. Le corps bien fait et gracieux, vif et hardi, éveillé comme sauce piquante, Coquillart s’en allait donc chantant parmi les demoiselles :


Hé ! vogue la galée
Nuit et jour sans cesser !


pendant qu’entre les mains des jeunes filles le chapelet de fleurettes poursuivait sa ronde au son des couplets amoureux. Il ne négligeait pas pourtant sa dame par amour. Elle l’avait séduit par son plaisant sourire et sa naïveté. Ne dirait-on pas une enfant, tant elle rit gentillement et sans faire bruit ! Elle a les yeux vairs, la bouche petite, et elle marche si légèrement en faisant un tas de minettes ! on croirait qu’elle s’avance à travers un fagot de jeunes épines. — Et notre amoureux va gratter à sa porte, toujours fier de sa fortune et émerveillé de sa bonne mine. Tantôt à pied, portant robe de fin camelot, la cornette de velours ornée de bijoux, il court, traînant le patin, tracassant les pavés ; puis demain, monté sur une belle haquenée, vêtu d’une robe richement fourrée, il s’avance suivi de son page, faisant feu sur les pierres de la rue, montrant partout son beau costume et ses gentils brodequins.

Une telle vie ne pouvait toujours durer. Coquillart était un joyeux jeune homme ; mais il possédait à un haut degré ce mélange de sens et de finesse qui distingue la race champenoise. Il se disait bien qu’il ne serait jamais un de ces clercs jusqu’aux dents qui ont avalé leur digeste ; mais il était trop ambitieux pour vouloir devenir un de ces avocats sous forme et procureurs des mouches, un de ces licenciés sous la cheminée, grands savans devant leur chambrière, qui étaient la risée de sa satirique patrie. D’ailleurs les récompenses que la cité promettait au travail, à la probité, à l’intelligence, la place que sa parenté lui avait déjà choisie, rien ne lui permettait de rentrer dans la bonne ville sans étude et sans science. Il savait bien aussi l’avenir qui attendait à Paris ces écoliers éternels. Cette sorte d’imagination qui lui était propre, et qui lui montrait toutes choses sous la forme de petits tableaux, lui avait bien souvent représenté cet avenir sous de tristes couleurs, quand le remords et le dégoût venaient après les longues fêtes et les longues amourettes. Il voyait alors Guillaume Coquillart, escorté de messire Coupaureille, maître juré tourmenteur, s’en aller bravement, lié derrière une charrette, vêtu de léger