Heureuse Belgique où la vie constitutionnelle a sa règle sans cesser d’être
libre, et où les dissentimens naturels des partis ne dégénèrent pas en révolutions périodiques ! Par quels moyens et à travers quels chemins difficiles
on revient de ces révolutions, l’Espagne le montre aujourd’hui, et elle est
loin d’être encore affranchie de tous les périls que lui ont créés les événemens
récens de son histoire. Depuis trois semaines environ, les cortès sont
rassemblées à Madrid. Ce n’est point dans ce peu de temps évidemment
qu’un corps politique tout nouveau, sorti d’un pays en révolution, composé
des élémens les plus confus, peut arriver à mettre un certain ordre
en lui-même et à formuler une pensée précise. Déjà cependant quelques
actes sérieux ont été accomplis, et révèlent la situation actuelle de l’Espagne.
Le plus grave des incidens qui se passaient à Madrid il y a quelques
jours est la démission du ministère portée aux cortès par le duc de la
Victoire le 21 novembre. Comment s’expliquait cette résolution subite d’Espartero de provoquer la dissolution du cabinet avant que le congrès n’eût
manifesté une majorité politique ? Elle naissait de tous ces tiraillemens qui
n’ont cessé d’exister depuis la dernière révolution dans le sein même du gouvernement. La nomination du général San-Miguel comme président provisoire des cortès avait assez vivement froissé Espartero, qui eût préféré
l’élection d’un de ses amis, M. Martin de los Heros. Dans le conseil, l’élément
qu’il personnifiait était en lutte avec l’élément plus modéré ; déjà
même quelques dissentimens avaient éclaté au sujet du candidat à choisir
pour la présidence définitive de l’assemblée, lorsque le général Espartero
prenait la résolution qu’il rendait publique le 21 novembre. Cette résolution
cachait d’ailleurs une pensée qui ne tendait qu’à mieux établir l’ascendant
du duc de la Victoire. Espartero se décidait à se porter lui-même comme candidat
à la présidence définitive du congrès. Restait à savoir comment l’assemblée
accueillerait cette pensée, et quel serait le sens de la manifestation
politique qui allait sortir de là. Le résultat a montré que la majorité du
congrès n’entend point dépasser certaines limites, qu’elle veut maintenir
l’alliance qui s’est faite entre les libéraux modérés et les progressistes :
aussi, en nommant le général Espartero pour son président, l’assemblée de
Madrid a-t-elle élevé le général O’Donnell à la vice-présidence. C’est dans
l’alliance de ces deux noms que se résume la situation actuelle, et c’est sur
cette base sans nul doute que se formera aujourd’hui un cabinet nouveau.
Il est à souhaiter que ce ministère se forme promptement et reprenne avec
vigueur la direction des affaires du pays. ch. de mazade.
Il est peu d’époques dans notre histoire plus féconde en douloureux problèmes que celle qui s’étend de la prise de la Bastille à la révolution de février. C’est pendant ces années, remplies tour à tour par les luttes civiles, par la guerre extérieure ou par les stériles débats des partis, c’est pendant cette période d’épreuves incessantes et de crises toujours nouvelles que l’ap-