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même, et à cet effet il choisira son serviteur le plus fidèle. C’est ainsi que le héros de la yeomanry venge un déshérité, disherytye. Remarquez ce mot du Lyttle Geste, il est une date; voilà bien les amis de Robin Hood, les déshérités, exhæredati, dont parle l’Écossais Fordun.

Non-seulement Robin Hood aide les bons chevaliers, amis du pauvre peuple, à retirer leurs châteaux des mains des abbés, mais il les aide aussi à les défendre contre les shériffs. Cette alliance défensive et offensive de certains chevaliers et des yeomen est l’image de ce qui se passait réellement entre le peuple et la noblesse des derniers rangs, gentry. En lisant les poétiques combats du brave yeoman Robin Hood et du chevalier Richard-at-Lee contre les officiers du roi, nous ne pouvions nous empêcher de songer que Simon de Montfort avait appelé dans son parlement des chevaliers pour représenter les comtés, et des bourgeois pour représenter les villes. Une fois sauvés des mains du shériff, le yeoman et le chevalier son ami se retiraient ensemble « dans la verte forêt, parmi les fondrières, les mousses et les marécages. » Là, malgré les plaisirs de la chasse et de la liberté, ils se décident quelque beau jour, à demander leur grâce au roi. Nous serions fort injustes envers Robin Hood, si nous n’étions pas très persuadés de son loyalisme. Lui et ses amis sont dévoués à la personne du roi. « Notre roi, notre gracieux roi, » ainsi l’appellent-ils toujours. Quand ils sont en sa présence, ils plient le genou devant lui, ils le servent à table avec empressement. Cependant c’est un respect d’une nature spéciale; il s’allie avec de singulières libertés, comme on va le voir bientôt.

Ce Robin Hood si fidèle au roi pourrait-il être un de ces Saxons révoltés contre les suites de la conquête ? Comment les ballades, tout altérées qu’on les suppose, ne portent-elles pas quelques marques de cette protestation armée contre la dynastie conquérante ? Voilà une objection faite par les critiques anglais; elle ne manque pas d’une certaine gravité. Ou il faut supposer qu’à des chants plus saxons, plus hostiles, plus rebelles, qui auraient tous péri, ont succédé des ballades où l’esprit des temps a inoculé la fidélité, le patriotisme sous leurs formes nouvelles, ou bien il faut croire que ces ballades ne sont pas si fort altérées, et que Robin Hood est d’une époque où la haine avait changé d’objet, et les griefs anciens s’étaient évanouis sous les nouveaux.

Mais nous n’avons pas achevé le portrait de Robin Hood. Nous avons dit comment il se comporte lorsque, à l’heure de dîner, le hasard lui présente un chevalier. Quand c’est un abbé qui se montre sur la route de Barnesdale, il se plante sur le milieu du chemin :

« Sire abbé, avec votre bon plaisir, arrêtez un instant.

« Nous sommes des yeomen habitant cette forêt, sous l’arbre vert; nous vivons des daims de notre roi, et n’avons pas d’autre ressource.

« Vous avez des églises et des rentes, et une grande quantité d’or. Donnez-nous un peu de votre argent, au nom de sainte Charité! »

Ce n’est pas seulement l’argent qui court de grands risques. Malgré sa piété, Robin Hood pourrait bien ne pas se contenter de dépouiller l’abbé, et oublier le respect dû aux ministres de l’église. Il faut bien égayer un peu le bon peuple lollard répandu dans les comtés, car ces ballades sont un