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sauver de ce misérable état, et que le reste soit condamné par l’Être qui nous donna une nature perverse et dépravée à des tourmens sans fin et à des flammes éternelles, alors je pense qu’il ne reste qu’à se lamenter dans l’angoisse du cœur; l’existence est une malédiction, et je n’ose dire ce qu’est le Créateur... O Père miséricordieux, je ne puis parler de toi avec le langage que ce système suggère. Non, tu m’as donné trop de preuves de ta bonté pour que ce reproche se trouve sur mes lèvres. Tu m’as créé pour être heureux; tu m’as appelé à la vertu et à la piété, parce que dans la piété et dans la vertu consiste le bonheur, et tu n’attends de moi que ce que tu m’as rendu capable d’accomplir. »

L’état religieux auquel Channing se trouva ainsi amené était une doctrine assez analogue à celle des ariens et des pélagiens. Il ne regardait pas l’homme comme entièrement corrompu par le péché, et ne voyait pas dans le Christ le Dieu incarné, descendu sur la terre pour porter le fardeau de nos fautes et pour obtenir par ses propres souffrances notre justification; mais il ne regardait pas non plus l’homme comme étant dans un état normal et s’avançant naturellement vers le bien; il ne voyait pas seulement dans Jésus-Christ une personne d’un génie religieux supérieur qui, par l’effet d’un tempérament délicat, et sous le stimulant de l’enthousiasme de sa nation, avait atteint l’union la plus parfaite avec Dieu. Il se joignait plutôt à ceux qui considèrent le genre humain comme actuellement dégénéré par un abus de la libre volonté. En Jésus-Christ il reconnaissait un être sublime, qui avait opéré une crise dans la condition de l’humanité, renouvelé le sens moral et touché avec une salutaire efficacité les sources du bien cachées au fond du cœur de l’homme.

Ces doctrines avaient beaucoup d’analogies avec celles de l’unitarisme, qui comptait déjà en Amérique quelques églises. Channing se rallia aux unitaires, et, dès l’âge de vingt-trois ans, il accepta une fonction de pasteur, qu’il exerça le reste de sa vie dans l’église de Federal-Street, à Boston; mais jamais il n’y porta un esprit de secte ou de parti. Son aversion pour tout établissement officiel en religion lui fit craindre que même la plus large des sectes ne fût encore trop étroite. A peine est-il un de ses sermons où il ne revienne sur cette pensée fondamentale : « Je vous prie de vous souvenir, dit-il, que dans ce discours je parle en mon propre nom. Je ne vous donne les opinions d’aucune secte; je vous donne les miennes. Moi seul je suis responsable de ce que je dis; que personne ne m’écoute pour savoir ce que d’autres pensent! J’appartiens, il est vrai, à cette société de chrétiens qui croient qu’il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, et que Jésus-Christ n’est pas ce Dieu unique; mais mon adhésion à cette secte est bien loin d’être entière, et je ne cherche pas à y attirer de nouveaux