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véritablement sociale. Il ne paraît pas qu’il y ait place désormais pour des spéculations nouvelles et originales dans le champ de la théologie, ni que l’état religieux de l’humanité soit susceptible de changer d’une manière notable. Le bouddhisme semble, il est vrai, destiné à disparaître, et l’islamisme ne sera éternel que dans la race arabe; mais il est difficile de croire que l’équilibre des trois grandes branches du christianisme fondées par les siècles (église latine ou catholique, église grecque ou orthodoxe, protestantisme) doive désormais être troublé d’une manière notable. Les relations de la philosophie et du christianisme changeront-elles ? L’une de ces deux formes de la pensée humaine réussira-t-elle à absorber l’autre ? ou bien une paix durable réunir a-t-elle leurs prétentions contraires ? Nous ne le pensons pas davantage. La philosophie sera toujours le fait d’une minorité imperceptible quant au nombre, mais qu’il serait impossible de détruire à moins de déraciner en même temps la civilisation. Maintenir en face l’une de l’autre ces puissances rivales, ne pas décourager ceux qui veulent les réconcilier, et cependant ne pas trop croire à la réconciliation d’ennemis qui se brouilleront le lendemain, tel est le seul programme que puisse se proposer dans le temps où nous sommes un esprit vraiment critique. Il serait injuste de reprocher au passé de n’avoir pas pratiqué une tolérance qui n’est que le résultat bon ou mauvais de l’état intellectuel que nous traversons; mais il n’est pas moins certain que la liberté est le seul code religieux des temps modernes, et on ne conçoit guère comment, après s’être accoutumée à envisager ses croyances d’une façon toute relative, l’humanité s’habituerait de nouveau à les prendre. comme la vérité absolue.


ERNEST RENAN.