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On est bientôt conduit à penser que s’il existait avant Melloni des expériences de détail, des faits isolés, il n’y avait aucune idée d’ensemble, et dès lors les travaux de Melloni se présentent comme une série remarquable de découvertes que l’on n’avait point soupçonnées avant lui. Cette opinion est très répandue, elle est une injustice pour Herschel.

Quelques personnes, mieux instruites de l’histoire des sciences, ont raisonné d’une manière opposée. Elles ont remarqué qu’Herschel avait démontré l’hétérogénéité de la chaleur, et caractérisé chaque rayon simple par sa réfrangibilité; qu’il avait prouvé l’inégale transmissibilité des diverses chaleurs par une même substance, et la différence qui existe entre la transparence et la transcalescence. Elles ont admis que les principales découvertes de Melloni dérivaient de ces faits généraux; elles lui ont reproché de s’être approprié des découvertes qu’il fallait rendre à son devancier; elles ont pensé que les principes de la chaleur rayonnante étaient connus avant lui, et qu’il lui restait uniquement le mérite d’avoir utilisé l’appareil de Nobili et découvert les propriétés du sel gemme. Cette nouvelle opinion est une injustice pour Melloni.

C’est entre ces appréciations, toutes deux vraies, quoique exagérées, toutes deux fondées, bien qu’elles soient toutes deux injustes, qu’il faut asseoir un jugement impartial. Melloni n’a point eu le bonheur bien rare de prendre à son origine une science ignorée pour la développer tout entière. Il a eu des devanciers, tous les savans en ont; il a recommencé leurs travaux, retrouvé des vérités qui s’étaient perdues, corrigé des erreurs qui s’étaient enracinées, et porté la lumière où il n’y avait que confusion. Il apportait dans les détails l’attention minutieuse qui mène à la précision : il généralisait peu, mais il le faisait sûrement, et personne ne le surpassait dans l’art d’interpréter et de faire parler les faits. Il exposait longuement, supposait que tout était inconnu pour tout expliquer, et se faisait lire des plus savans comme des moins instruits. En répétant souvent, sous des formes différentes, des idées identiques, en accumulant des démonstrations variées des mêmes principes, en occupant souvent l’attention des mêmes sujets, il a rendu familière à tous la science qu’il développait. Il fut un des physiciens qui ont le plus instruit ses contemporains. S’il n’a pas tout découvert dans la chaleur rayonnante, au moins a-t-il tout fait connaître. Son succès a été immense; il était mérité.


JULES JAMIN.