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son but. Cela est visible et admirable dans l’enfant. L’enfant est une créature ignorante ; mais cette créature a en elle tout ce qu’il faut pour s’instruire, et ses organes sont si bien disposés pour cet effet, que nous ne retrouvons pas après l’enfance la délicatesse et la vivacité d’organes que nous avions alors. Nous apprenons moins vite dans la jeunesse et dans l’âge mûr que dans l’enfance, parce que nous avons moins besoin d’apprendre. L’enfant est une créature faible et dépendante ; mais cette créature a ce qu’il faut pour obtenir le secours qui lui est nécessaire. Elle a le don d’inspirer la pitié et l’affection ; tout enfin dans l’enfance est disposé pour faire vivre l’enfant et pour le faire croître. De ce côté, rien ne manque à l’enfant ; il est complet. Essayez de concevoir l’enfant autrement que l’a fait la nature : tantôt vous lui donnerez moins qu’il n’a, ce que fait Rousseau, qui lui refuse la nature morale ; tantôt vous lui donnerez plus qu’il n’a, en le traitant comme s’il avait une intelligence déjà mûre et une raison déjà formée. Vous en faites enfin, ou bien un animal gracieux et vif, ou bien un homme, trop ou trop peu. L’enfant au contraire est un être parfait comme enfant, et il a au plus haut degré toutes les facultés et toutes les grâces qui conviennent à son âge.

Nous voyons bien toutes les facultés de l’enfant, nous avons même l’idée de sa perfection ; mais cette perfection nous trompe, ou plutôt elle nous cause une illusion singulière. Comme nous sommes toujours disposés à voir l’homme dans l’enfant, nous jugeons de l’un sur l’autre, et nous croyons que ces qualités merveilleuses que nous découvrons dans l’enfant, cette délicatesse d’organes, cette grâce de mouvemens, cette singulière facilité à apprendre, que tout cela se conservera dans l’homme en s’accroissant chaque jour davantage, et de là l’habitude que les parens ont de se promettre un brillant avenir pour leurs enfans. Quels hommes ce seront, se disent-ils, étant de si gracieux enfans ! Grande erreur que n’expliquent pas seulement les préjugés de l’amour paternel et maternel ! Les parens se trompent moins qu’on ne le croit quand ils trouvent que leurs enfans sont vifs, aimables, ingénieux, intelligens. Ils sont tout cela en effet, mais ils le sont comme enfans. Le tort est de croire qu’ils le seront comme hommes, et de conclure de l’enfance à la jeunesse ou à l’âge mûr. Si l’homme devait toujours grandir, il finirait par toucher au ciel. Il en est de la taille de son esprit comme de celle de son corps ; elle s’arrête quand elle a atteint sa stature. Il grandit ; donc il grandira toujours ! fort sotte manière de raisonner, dont tout le monde se moquerait s’il s’agissait du corps de l’homme, et que tout le monde adopte plus ou moins, quand il s’agit de l’esprit. L’enfant arrive vite à la perfection de son âge et s’y arrête ; c’est nous qui, dans nos prédilections paternelles, prenons cette perfection de l’enfant pour