Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Frappez vivement leur imagination, dit-il ; ne leur proposez rien qui ne soit revêtu d’images sensibles. Représentez Dieu sur un trône avec des yeux plus brillans que les rayons du soleil et plus perçans que les éclairs ; faites-le parler ; donnez-lui des oreilles qui écoutent tout, des mains qui portent l’univers, des bras toujours levés pour punir les méchans, un cœur tendre et paternel pour rendre heureux ceux qui l’aiment. Viendra le temps où vous rendrez toutes ces connaissances plus exactes[1]. » Voilà assurément de l’anthropomorphisme. Fénelon n’en a pas peur, car il comprend le progrès qui se fait dans l’esprit des enfans, et il sait qu’ils peuvent commencer sans danger par l’idolâtrie : cela ne les empêchera pas d’aboutir aux connaissances exactes et élevées de la théologie chrétienne

Si l’on peut et si l’on doit enseigner la religion aux enfans, ce sont les mères qui, selon Fénelon, ont surtout qualité pour le faire, et le choix même qu’il fait des mères pour institutrices montre quelles leçons il entend. Les mères parleront à l’imagination et au cœur de l’enfant plutôt qu’à son entendement ; elles lui apprendront à aimer Dieu et à le prier comme bon et tout-puissant plutôt qu’à le comprendre ; elles enseigneront la religion et non la théologie. Pour être simple et familier, cet enseignement maternel n’en sera pas moins élevé et presque divin. Le penseur et l’humoriste allemand Jean-Paul Richter dit quelque part : « Quand ce qui est sacré chez la mère s’adresse à ce qui est sacré chez l’enfant, les âmes s’entendent et se répondent. » Pensée profonde et vraie sous une expression un peu obscure, comme il arrive souvent en Allemagne ! Nous avons tous en effet le sens du divin, et c’est par là que tous les hommes sont capables de religion et souvent même de superstition ; l’homme a besoin de croire à un être ou à des êtres supérieurs. Quand ce sens divin qui est chez la mère s’adresse au sens divin qui est chez l’enfant, et que l’amour maternel anime et échauffe ce pieux commerce des deux âmes, comment ne s’entendraient-elles pas, et comment l’amour de Dieu ne naîtrait-il pas dans le cœur de l’enfant, s’allumant au foyer des deux plus purs amours de cette terre, l’amour maternel et l’amour filial ?

Au lieu d’amener peu à peu l’enfant à la religion, de le conduire des images aux idées, Rousseau, après avoir laissé longtemps ignorer à son élève le nom et l’idée de Dieu, s’arrange pour lui en faire une révélation solennelle. Il choisit le lieu de la scène : ce n’est point dans un simple et modeste intérieur, c’est sur une montagne élevée, en face des Alpes, au lever du soleil, que Dieu va être révélé à Émile. C’est avec cette pompe majestueuse et apprêtée que le vicaire

  1. Fénelon, Éducation des Filles, édition de Toulouse, 1810, tome III, p. 69.