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gloire nationale, ils n’ont regretté ni temps ni veilles pour recueillir tous les documens qui pouvaient jeter quelque jour sur le caractère et sur les travaux de ce grand homme. Malheureusement leur labeur est trop souvent demeuré stérile. Ne trouvant pas ce qu’ils espéraient trouver, ils ont rassemblé sans se décourager les actes mêmes qui pour nous, dans l’état présent de nos connaissances, n’ont pas de signification. Ils pensaient sans doute que ces documens inanimés s’animeraient un jour sous la volonté d’un investigateur plus heureux. Il ne faut donc pas les blâmer d’avoir enregistré des faits qui pour nous demeurent sans importance. Nous devons au contraire leur savoir gré de n’avoir rien négligé pour réunir tous les élémens de la vérité. S’ils ne sont pas arrivés à reconstruire la vie tout entière d’Allegri, ils ont préparé des matériaux précieux pour ceux qui voudront entreprendre cette tâche délicate.

Cette tâche en effet offre plus d’un écueil. Il ne s’agit pas seulement d’apprécier les travaux d’un génie de premier ordre, qui se place, dans l’histoire de l’art, après le Vinci, le Buonarroti, le Sanzio, le Vecelli, c’est-à-dire après les noms les plus glorieux de l’Italie ; il s’agit de marquer les origines de ce talent si pur, si gracieux et en même temps si puissant, car Allegri, qu’on ne s’y trompe pas, réunit dans ses œuvres la grâce et la puissance. Nous autres ultramontains, comme disent les Italiens, nous ne connaissons qu’une seule face de ce talent si varié. Les galeries de Dresde et de Paris, qui possèdent des ouvrages admirables de ce maître éminent, n’offrent pourtant que des renseignemens incomplets sur l’étendue et la portée de ses facultés ; c’est à Parme seulement qu’il est permis de les embrasser d’un regard. Quiconque n’a pas vu la coupole de San-Giovanni, la coupole de la cathédrale, le réfectoire du couvent de Sainte Paul, ne connaît tout au plus qu’une moitié du Corrège. Il admire la délicatesse de son pinceau, la mollesse des contours, la vérité des chairs, qui signalent ses moindres tableaux à l’estime des connaisseurs ; il ignore une autre face de son génie, il ne peut pas même l’entrevoir. L’Antiope et le Mariage mystique de sainte Catherine ne sauraient révéler à l’esprit le plus clairvoyant la puissance et l’audace du Corrège, et pourtant, par les pendentifs de San-Giovanni et de la cathédrale, il se place tout simplement à côté de Michel-Ange. Ses apôtres et ses pères de l’église rappellent les prophètes de la Sixtine. S’il y a diversité dans les styles, si le Buonarroti et l’Allegri interprètent la forme chacun selon la nature de son génie, par la grandeur de l’expression, par la hardiesse des attitudes, ils appartiennent à la même famille. Or les documens réunis avec tant de patience par Tiraboschi, Pungileoni et Affo sont loin de résoudre toutes les questions soulevées par les œuvres d’Antonio Allegri. La première